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Le traitement du thème Haiti au niveau de la presse internationale

Publié le mardi 27 septembre 2011

Synthèse d’une causerie organisée en octobre 2002 par le Groupe Médialternatif

Par Vario Sérant

Au fil des conférences, l’habitude s’installe. Et le rendez-vous devient incontournable. Nous voulons parler des causeries du Groupe Médialternatif.

La troisième de la série, axée sur le traitement du thème Haïti dans la presse internationale, a été particulièrement animée. Les panélistes étaient Christophe Wargny, collaborateur du Monde Diplomatique et Roosevelt Jean François, ancien correspondant de United Press International (UPI) et Canadian Press.

Le premier intervenant s’est employé à analyser les thèmes récurrents à propos d’Haïti qui reviennent dans la presse européenne, française plus particulièrement, alors que le second a planché sur le regard porté sur Haïti par la presse Nord Américaine.

Image, histoire

Pour Christophe Wargny, l’image d’Haïti telle qu’elle est véhiculée par la presse internationale depuis que les médias existent, plus particulièrement dans les cinquante dernières années, est une image presque entièrement négative.

Cette image traduit souvent un état de catastrophe dans lequel serait plongé le pays. Paraphrasant le sociologue canadien André Corten, le conférencier relève que Haïti est présent dans les médias comme étant dans un état de désolation. Et cette image est entrecoupée par des secousses que vit le pays.

Une image que le professeur et historien français qualifie somme toute de quasi-millénariste. Il entend par là que les haïtiens en seraient à se demander aujourd’hui dans quelles conditions ça pourra être pire demain.

Christophe Wargny note qu’au cours des quinze dernières années de la transition post 86, la presse internationale a eu la latitude de nous montrer les ébullitions en Haïti. Et bien entendu, il reconnaît qu’il y en a eu un certain nombre.

Concernant le pays qui a retrouvé la démocratie, les formes républicaines de gouvernement depuis 1994, on va trouver, relève Wargny, cinq ou six thèmes récurrents qui sont particulièrement difficiles pour le pays.

On nous montrera tout d’abord, précise-t-il, l’État prédateur qui gouverne le pays. La presse internationale reviendra souvent également, de manière caricaturale, sur l’importance du vodou. Une manière de montrer qu’il s’agit d’un État où le religieux est supérieur au raisonnable. Elle planchera aussi sur la passion du pouvoir politique ou de la fonction publique qui peut être liée à la prédation.

Un autre point spécifique à Haïti qui revient souvent dans la presse internationale, rappelle Christophe Wargny, est la difficulté à installer un appareil judiciaire crédible. Une espèce de culture de l’impunité. Et on n’oubliera pas enfin les images de faim, de malnutrition, de mal-éducation, qui sont fréquentes également dans la presse.

Comme autre reproche qui est fait à Haïti, Christophe Wargny relève le fait que le pays vivrait replié sur lui-même.

Après avoir souligné ces différents facteurs qui donnent d’Haïti une image dramatique ou dramatisée, le conférencier précise qu’un journaliste qui fait bien son travail peut trouver d’autres façons de montrer le pays.

Il a en ce sens rappelé que pendant la période 1990-1991, Haïti a eu brusquement une nouvelle image, celle d’un pays qui voulait abandonner ses vieux démons, installer un maximum de transparence et, en même temps, retrouver le concert des nations.

En guise d’explication à cette image dramatique ou dramatisée d’Haïti, Christophe Wargny souligne la très faible connaissance du pays par les Européens. C’est une connaissance qui se fait, estime-t-il par le biais de l’histoire, des stéréoypes et des clichés. Par exemple, les français, ajoute-t-il, connaissent deux choses sur Haïti. " Si vous faites une radio-trottoir, ils vont vous dire vodou et tonton macoute ".

Le conférencier évoque par ailleurs le péché originel d’Haïti qui est toujours présent dans l’inconscient des français. Ce péché originel, c’est l’indépendance d’Haïti en 1804, la première révolution d’esclaves qui ait jamais réussi.

Christophe Wargny rappelle le lourd tribu que Haïti a dû payer pour "cette gifle au monde occidental". Après l’indépendance conquise au prix du sang, Haïti a dû payer aussi au gouvernement français une somme colossale qui a complètement écrasé son économie.

Le conférencier poursuit en rappelant que la France et les autres États occidentaux avaient décidé de mettre "ce pays paria donnant de mauvais exemples" en quarantaine pendant tout le 19e et le début du 20e siècle. L’historien français rappelle le discours tenu à propos d’Haïti, jusqu’au milieu du 20e siècle, des deux côtés de l’Atlantique. Ce discours pourrait se résumer à ces phrases : " Regardez ce qu’ils ont fait de leur indépendance. Ils ne la méritaient pas ".

Tout en estimant que Haïti se charge souvent lui-même de donner une mauvaise image, le conférencier déplore la méthode consistant à colporter celle-ci aussi facilement en l’absence de toute mise en contexte. "Si chaque fois qu’on parle d’Haïti, de temps en temps on rappelait ce que fut l’histoire et la gifle que donnèrent les esclaves de Saint-Domingue à l’épopée Napoléonienne. Cela est inscrit dans l’inconscient et pèse aujourd’hui assez lourdement dans nos relations avec Haïti", de l’avis du collaborateur du Monde Diplomatique.

"Imaginez dans les manuels d’histoire des petits français, on fait la gloire de Napoléon, un homme invincible ayant gagné toutes ses batailles, sauf la dernière évidemment, sur les champs de bataille, voire même au Moyen Orient. Ça gacherait toute l’histoire si on disait qu’une armée de nègres analphabètes avait battu un de ses généraux. Ça casserait la légende".

Christophe Wargny estime donc que, à propos d’Haïti, la presse française est toujours prisonnière de cette vision consistant à procéder par mise en quarantaine et par occultation. Cette vision pourrait expliquer, selon lui, le fait qu’on ne parle pas d’Haïti de façon proportionnelle à ce que le pays mérite, à ce qu’il fait et à ce qu’il souffre.

En résumé, le conférencier estime que la presse française parle d’Haïti à travers le prisme de son histoire (l’histoire de France). Ceci n’exempte pas bien entendu les Haïtiens d’un certain nombre de défauts, a tenu à souligner Christophe Wargny, et de ne pas avoir réussi à transformer une espérance très forte en 1990-1991 en réalisations plus concrètes et plus visibles aujourd’hui. La responsabilité est sûrement, a-t-il conclu, la responsabilité de ceux qui peuvent avoir en charge le pays, mais est aussi la responsabilité des étrangers.

Intérêt, diplomatie

Le deuxième panéliste, Roosevelt Jean François, a lui axé son intervention, comme nous le disions tantôt, sur le traitement du thème Haïti au niveau de la presse nord-américaine, en mettant l’emphase sur la période du coup d’État militaire (Septembre 1991-Octobre 1994).

L’ancien correspondant de United Press International et de Canadian Press soutient pour l’essentiel que le traitement du thème Haïti dans la presse internationale a suivi, pendant cette période, l’intérêt du pays en question. De façon plus générale, il affirme que le traitement suit exactement la diplomatie.

A titre d’exemple, Roosevelt Jean François rappelle le très vif intérêt que la presse nord-américaine a eu à manifester pour les "boat people" haïtiens pendant le coup d’État. Il se souvient de ces journalistes américains qui, sitôt arrivés au pays, se ruaient vers les sites de constructions navales à Léogane, Sahira (Sud de Port-au-Prince) plus précisément, et à Port-de-Paix (Nord-Ouest du pays).

De l’avis du conférencier, cet intérêt pour les réfugiés n’était pas dû au fait que ces journalistes voulaient projeter une bonne ou une mauvaise image d’Haïti, mais était de préférence motivé par leur souci de confirmer des informations concernant des problématiques que leurs pays respectifs, dans leur intérêt, voulaient endiguer. " voilà pourquoi, entre les boat people et le retour, ces deux thèmes ont fait l’actualité de 1992 à 1993 ".

Roosevelt Jean François relève plus loin le fourmillement de journalistes étrangers à l’hôtel Montana, à Port-au-Prince, à la veille du débarquement de la force internationale en 1994. " De mon expérience de journaliste, je n’avais jamais vu autant de confrères étrangers se trouver en un même lieu pour traiter le même sujet ". Le conférencier se souvient aussi de la compétition qui existait entre les différentes chaines américaines (CNN, ABC, NBC, etc.) pour interviewer presque la même personne ".

Aujourd’hui, Haïti ne faisant pas trop l’actualité, les confrères étrangers à arriver au pays sont rarissimes, constate l’ancien correspondant de UPI. Ils confient le traitement, poursuit-il, à des journalistes haïtiens qui ont le plus souvent un statut de correspondant.

Roosevelt Jean François pense que le traitement du thème Haïti dans la presse internationale, pendant le coup d’Etat, a suivi l’intérêt national du pays en question.

" Ce n’est pas le State Department (Département d’Etat) qui appelle celui qui est responsable du Desk du New York Times pour lui dire d’aller à Sahira. Ce n’est pas schématiquement comme ça. Mais dans la fonctionnalité, on voit que le journaliste qui vient ici reçoit un log (une feuille de route) de son auditeur. Celui-ci lui dit d’aller directement en ces points. Et on sait que les officiels ont tendance à se rencontrer. Il y a aussi les réservoirs de pensée. Ils disent pour Haïti, voici l’intérêt. Et la presse américaine, au-delà de l’objectivité, privilégie l’intérêt national ".

Le conférencier note par ailleurs une certaine similarité entre le traitement du thème Haïti par la presse américaine et celui effectué par la presse canadienne. Il impute cette similarité au fait que la presse canadienne suit en quelque sorte la presse américaine. De même que la politique étrangère canadienne suit également, à son avis, celle des États-Unis.

S’agissant de la presse dominicaine, Roosevelt Jean François constate qu’elle planche assez souvent sur le dossier Haïti. Parmi les thèmes récurrents dans la presse dominicaine, le conférencier souligne les questions frontalières, les questions d’ordre commercial, la prise du pouvoir, la gouvernance, et la question du trafic de stupéfiants.

Grosso modo, Roosevelt Jean François estime que le pays fait l’actualité à des moments précis. Quand surtout l’opinion publique internationale suivie de la diplomatie manifestent un certain intérêt à l’égard de ce qui se passe en Haïti. "Quand la diplomatie ne suit pas exactement ce qui se passe, la presse n’est pas tout à fait intéressée".

Les exposés ont été suivis d’un débat animé et enrichissant sur lequel nous nous proposons de revenir.

Novembre 2002

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