Vous etes ici: Accueil > Ressources >La mise à mort des médias

La mise à mort des médias

Publié le mardi 27 septembre 2011

Port-au-Prince le 4 décembre 2001

Lettre ouverte de Sans Souci FM – Cap-Haïtien

A

Monsieur Hérold Jean François Président de l’Association Nationale des Médias haïtiens (ANMH)

Monsieur le Président,

Permettez-moi de vous présentez au nom de mes confrères de la province mes plus vives félicitations pour votre élection à la tête de l’Association Nationale des Médias Haïtiens (ANMH). Je ne peux que saluer aussi en leur nom l’initiative prise par les confrères de la capitale de mettre sur pied une association dont l’objectif est de défendre les intérêts des diffuseurs sur le plan national.

Je comprends aisément les limitations d’ordre structurel et financier qui vous empêchent d’étendre vos contacts et arriver ainsi à ouvrir l’ANMH aux diffuseurs de la province.

Toutefois, en dépit de ces manquements, je veux croire que la bonne volonté est là et que vous serez à la hauteur des grands défis qui traversent cette conjoncture.

Je me propose aujourd’hui de signaler à votre attention certaines situations que vivent, mais que ne peuvent ou ont peur de dénoncer certains diffuseurs de la province et de la capitale.

Vous savez comme moi que les temps sont difficiles et que les médias n’arrivent pas à bien fonctionner et faire face à leurs obligations financières. Les médias ne sont pas en mesure de renouveler leurs équipements et améliorer les conditions de travail et les salaires des techniciens et journalistes.

La baisse de plus de 50% des revenus publicitaires ajouté à la décote accélérée de la gourde et l’augmentation des taux d’intérets ont contraints la totalité des radios , parmi elles les plus cotées, à opérer des licenciements ou des coupes sur les salaires allant jusqu’à 40 % ou / et à éliminer certains programmes.

La crise énergétique chronique a contraint certaines radios de la capitale et des provinces à faire passer leurs heures de diffusion de 24 à 18 heures par jour.

Vous savez comme moi que les factures de l’Electricité d’Haiti ont triplé en dépit du fait que l’énergie n’est fournie quotidiennement qu’entre 6 à 12 heures à Port-au-Prince et entre 2 à 5 heures tous les 3 à 5 jours dans une ville comme le Cap-Haïtien.

Vous vivez tous les jours les retombées négatives de la décote de la gourde sur les commandes de pièces de rechange à l’étranger et sur les remboursements de prets en dollars US .

Vous connaissez comme moi les retombées catastrophiques de l’augmentation des taux d’intérêts sur les prêts bancaires pour les jeunes entreprises et sur celles qui sont obligées de faire face au renouvellement régulier d’équipements électroniques endommagés par les coupures intempestives du courant électrique.

Vous savez autant que moi qu’un groupe électrogène fonctionnant plus de 16 heures par jour n’a qu’une durée de vie de 2 ans. Vous savez aussi comme moi enfin qu’il vous en faut au moins deux groupes électrogènes, deux onduleurs (inverter) et une armada d’au moins 48 batteries renouvelables tous les 2 ans pour rester en ondes.

J’ai dressé ce tableau quoique incomplet Monsieur le Président, pour vous sensibiliser sur l’urgente nécessité d’agir sur les points suivants :

1. - Le refus de certaines agences de publicité d’honorer dans un délai raisonable leurs engagements vis à vis des médias

2. - Le role du Ministère de la communication auprès de ce secteur

3. - Les pressions psychologiques exercées par certaines instances publiques demandant aux médias de diffuser gratuitement

4. - Les menaces et attaques contre les journalistes et les médias

Il est constaté depuis des années que certaines agences de publicité - dont la plus réputée dans cette pratique de surcroît contrôlée par un étranger - reçoivent l’argent des commanditaires sans toutefois honorer leurs engagements vis à vis des médias

A titre d’exemple, je cite le cas de Sans Souci FM, considérée comme l’une des quatre meilleures radios du Cap-Haïtien, incapable d’honorer ses engagements financiers et qui par contre voit dans son compte à recevoir des arriérés de 54,124.60 gourdes datant du 25 juillet 2000 et libellées au nom de cette agence qui glane en dépit de tout les plus importants contrats sur le marché.

Les grandes compagnies et institutions comme par exmeple, la Comme Il faut, Codina, PSI-Haiti, Maggui, Nestle règlent à notre connaissance leurs factures de manière régulière et des fois anticipent les paiements.

Les radios de la province déjà traitées avec discrimination au niveau des tarifs fixés de manière délibérée et budgets publicitaires restreints ne peuvent pas encore faire les frais d’une telle pratique, ni attendre que les miettes leur soient retournées tous les trimestres après un bon placement dans la bourse New Yorkaise ou dans les banques américaines.

Les tarifs publicitaires déjà assez bas ont été gelés en raison de la grave crise économique qui frappe tous les secteurs. Les rentrées publicitaires sont quasi nulles par le fait que les entreprises de presse soient dépendantes de la bonne santé de l’économie.

Je vous demanderais aussi Monsieur le Président de solliciter du Ministère de la Communication qu’il clarifie pour notre gouverne son vrai rôle dans la structure gouvernementale.

Au lieu de se restreindre dans un rôle de porte-parole du gouvernement et de la présidence pensons nous, le Ministre Guy Paul est interpellé aujourd’hui pour nous informer sur le rôle et le programme de son ministère qui n’a posé jusqu’ici aucun acte concert en ce qui concerne la définition d’une politique nationale en matière de communication et d’accompagnement des médias et des Associations de communicateurs.

On fait tous les jours le constat un ministère amorphe et un ministre loquace et d’un zèle exemplaire dans la défense des intérêts de son gouvernement ou encore de son propre pouvoir.

J’ai souri en lisant la dernière note du Conatel concernant la diffusion des émissions sur l’alphabétisation. Citoyens de ce pays, j ai fait comme vous et d’autres directeurs de médias le choix d’y rester et d’œuvrer à son progrès, personne à ce titre ne saurait etre bien placé pour nous faire une lecon de civisme quand ils se la coulent douce aux frais de la République avec les taxes que nous payons.

Les médias jouent et ont toujours joué leur rôle de service public en informant, formant et divertissant les populations souvent confrontées à l’isolement, à l’oubli et au mépris des autorités.

Diffuser des émissions sur l’alphabétisation demande la conception d’un plan médiatique axé sur des choix méthodologiques et une pédagogie définie par l’instance concernée par la mise en place et l’exécution du programme en question. Diffuser des programmes sur l’alphabétisation « se pa yon plon gaye « . La production des émissions éducatives a un coût et nécessite l’apport de compétentes ressources humaines.

Je conçois que les médias aient aussi une participation à donner dans une telle entreprise citoyenne mais je me demande perplexe qu’est ce que cet « Etat » qui demande tout gratuitement nous offre en retour pour garantir notre fonctionnement depuis des années.

Pas d’énergie, routes d’accès aux sites d’émetteurs défoncées, inaccessibles, inflation des prix du carburant et des pièces de rechange, absence de ligne de crédit, taxation exagérée de la Direction Générale des Impôts sur des radios non rentables ou en faillite permanente, pas d’exonération sur les pièces de rechanges régulièrement affectées durant la saison des orages (juillet-septembre), insécurité pour les journalistes, économie déprimante.

Finalement, je demande à l’ANMH de se concerter afin de prendre des mesures exemplaires pour freiner les représailles enregistrées depuis quelques mois sur les travailleurs de la presse et les menaces qui pèsent sur les médias.

Nous ne pouvons que déplorer à chaque fois les agressions et assassinats qui sont devenus trop courants. Trois cas d’assassinats de journalistes en moins de deux ans.

Les groupes agissant en toute impunité contre les journalistes et les médias ne devraient en aucune façon bénéficier sans réserve des services et de l’hospitalité de l’ensemble des médias sur l’étendue du territoire National.

La presse haïtienne doit penser à monter sa propre liste de « prédateurs de la liberté de la presse » afin que ses micros, antennes et colonnes ne leur soient ouvertes .

Je m ‘attend Monsieur le Président à toutes sortes de représailles après la diffusion de cette lettre ouverte. Advienne que pourra, je les assumerais. S’il nous faudra cesser d’émettre ou de parler un jour nous le ferons mais nous aurons la satisfaction d’avoir dit tout haut aujourd’hui ce que d’autres pensent tout bas.

Je terminerai en présentant mes sympathies aux proches et collaborateurs du confrère Brignol Lindor, assassiné sur le terrain du devoir le lundi 5 novembre à proximité de Petit Goave.

Recevez Monsieur le Président, l’expression de mes meilleures salutations.

Ives Marie Chanel Directeur Général Sans Souci FM Cap-Haïtien