Willems Edouard - Haiti : Droit d'auteur et propriété intellectuelle

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Durée de protection des œuvres

Le décret du 9 janvier 1968 sur les droits d'auteurs d'œuvres littéraires, scientifiques et artistiques, pour faire suite à l'article 23, dispose en son article 24: " A la mort d'un auteur, les mêmes prérogatives passent à ses héritiers qui en bénéficient, comme titulaires de ses droits patrimoniaux pendant vingt-cinq ans, à compter de son décès, dans l'ordre et selon les règles déterminées au Code Civil pour les successions. Après quoi les ouvrages protégés tombent dans le domaine public". Ils deviennent libres de droit et enrichissent le bien commun. Chacun peut les exploiter sans être inquiété. Leur exploitation n'exige aucun recours à l'autorisation des ayants droit. Libre utilisation pour les œuvres tombées dans le domaine public certes, mais, outre le décès, d'autres facteurs déterminent le délai de protection comme ce texte s'essayera à le démontrer.

Durée de protection et œuvre simple

La durée de protection envisagée sous le régime du décret de 1968 concerne les œuvres ayant un seul et unique auteur. Les dispositions y relatives visent surtout les créations publiées du vivant d'un auteur. Or il existe d'autres œuvres simples qui peuvent sortir longtemps après la mort de celui qui les a créées. C'est le cas des œuvres posthumes. Le statut de ces dernières interdit de prendre la date de décès comme unique critère servant à calculer la durée de protection puisque leurs auteurs ne peuvent mourir deux fois. Que dire d'un ouvrage critique d'une œuvre déjà tombée dans le domaine public ? Ces quelques cas, parmi d'autres, en ce qui a trait aux œuvres simple, n'avaient pas retenu l'attention des rédacteurs du décret.

En dehors des œuvres simples, il existe d'autres ouvrages ayant plusieurs auteurs. Quand l'un des co-auteurs meurt, les autres lui survivent. Leurs droits aussi. Cet aspect et bien d'autres facteurs ont un rôle non négligeable dans la détermination de la durée de protection. Malheureusement le décret de 1968 n'y a pas songé. Les dégâts sont multiples. Des œuvres tombent prématurément dans le domaine public. Des ayants droit perdent leurs droits légitimes sur des œuvres. Ce qui conduit à une situation paradoxale : la législation lèse les intérêts de ceux dont elle est censée protéger les droits. C'est la situation des œuvres complexes.

Durée de protection et œuvre complexe

Aujourd'hui, divers auteurs participent à la création d'une seule œuvre comme l'illustrent les œuvres de collaboration. Une œuvre musicale avec parole par exemple nécessite souvent la coopération d'un compositeur et d'un parolier au moins. La mort de l'auteur du texte chanté, 25 ans après, n'anéantit en rien les droits de ses héritiers, ni ceux du compositeur survivant. La durée de protection d'une telle création, comme l'a établit la doctrine depuis longtemps, doit commencer à courir à la mort du dernier des co-auteurs. S'il faut appliquer l'article 24 du décret de 1968, la protection de ce morceau cesse 25 ans après la mort du parolier. Ainsi, la législation dépossédera le titulaire survivant de ses droits légitimes.

Les œuvres collectives comme les dictionnaires, les encyclopédie, les manuels et bien d'autres sont généralement publiées sous le nom de personnes morales. Au regard de l'article 20 du décret de 1968 stipulant que " le droit à la paternité, sur une œuvre littéraire ou artistique, est le droit qu'a l'auteur de la publier sous son nom... ", ces actes font de ces institutions les premières propriétaires de droits sur leurs publications. S'il faut calculer pour leurs ouvrages le délai de protection, on ne peut se contenter des dispositions de l'article 24. Car la longévité d'une entreprise propriétaire de droits à titre originaire sur une création de l'esprit ne peut être fonction de l'espérance de vie d'un être humain. D'ailleurs la fraîcheur des institutions centenaires comme les Editions Henri Deschamps et Le Nouvelliste en disent long à ce sujet. Obligées, dans de pareil cas, d'écarter la mort comme unique critère, d'autres législations1, du droit latin, pour déterminer la durée de protection, ont retenu plutôt l'année civile suivant la publication d'une œuvre collective. Dans le cas où celle-ci est publiée en plusieurs volumes, la durée de protection commence à courir à partir du premier janvier de chaque tome publié. Si l'ensemble est édité sur 20 ans, la durée de protection débute à compter de la publication du dernier élément dit la loi française.

Outre les types d'œuvres, d'autres facteurs comme les instruments internationaux mettent en évidence la désuétude de l'article 24 du décret de 1968.

Durée de protection, décret de 1968 et instruments internationaux

Le souci d'assurer une protection aux auteurs ainsi qu'à leurs œuvres en dehors des frontières a poussé à la signature des Conventions et Accords internationaux. L'adhésion du pays à ces textes commande de les intégrer dans la législation locale. Voilà ce qui explique que les 25 ans prônés par lé décret de 1968 coïncident parfaitement avec la durée de protection visée par la Convention Universelle qu'Haïti a signé le 16 septembre 19552. Ici, il y a harmonisation certes, mais la publication du décret du 9 août 1995 sanctionnant la réintégration du pays à la Convention de Berne change la donne. Car dans la déclaration annexe de la Convention universelle relative à son article XVII, il est précisé que " La Convention de Genève ne sera pas applicable, dans les rapports entre pays liés par la Convention de Berne, en ce qui concerne la protection des œuvres qui, aux termes de cette convention, ont comme pays d'origine l'un des pays de l'Union3". Ce passage établit de façon claire la primauté de la Convention de Berne. L'application de celle-ci suppose le respect de sont article 7 stipulant que " la durée de protection comprend la vie de l'auteur et cinquante ans après sa mort ".

La résurrection de la Convention de Berne dans notre législation pose aussi le problème d'autres types d'œuvres par rapport au délai de protection. En effet, évoquant le cas des œuvres cinématographiques, cette dernière fixe la durée à compter de l'année de la réalisation ou de la publication de telles créations. Quant aux œuvres de collaboration, leur protection selon cet instrument, s'éteint cinquante ans près la mort du dernier co-auteur.

Certains auteurs ne publient pas sous leur vrai nom. Leurs créations sont des œuvres pseudonymes. Dans la mesure où il s'avère impossible d'identifier ces auteurs, la durée de protection se calcule à compter de l'année civile suivant la publication de leurs ouvrages. En ce qui a trait aux œuvres anonymes, l'article 7 alinéa 3 de la Convention de Berne établit le même raisonnement. Le délai de protection pour ces œuvres expire " Cinquante (50) ans après que l'œuvre a été licitement rendue accessible au public ".

Haïti est redevenue membre de la Convention de Berne. Cet instrument a force obligatoire pour les Etats signataires. Il fait corps avec la législation locale4 et la renforce. Cependant le décret du 9 août 1995 marquant le retour à l'Union n'ayant pas statué sur le cas des œuvres déjà tombées dans le domaine public risque attribuer à une règle nouvelle la gestion des effets futurs d'un acte né sous l'empire de l'article 24 du décret de 1968. Ainsi, toute exploitation en cours d'œuvres tombant sous le coup dudit décret peut être confronté à deux problèmes. La renaissance des droits. La mise en cause des droits acquis.

Renaissance des droits

La Convention de Berne fixe à cinquante ans la durée minimale de protection. Du coup, les droits relatifs à des œuvres déjà tombées dans le domaine public peuvent renaître. Cette éventualité peut surprendre dans la mesure où elle tend à reprivatiser des ouvrages appartenant au bien commun. Mais, si aucun texte ne dit mot sur le cas des œuvres concernées par cette nouvelle situation, il faut admettre que rien n'interdit à leurs ayants droit de vouloir bénéficier de cette prolongation.

Mise en cause des droits acquis

Un roman tombé dans le domaine public peut être exploité par n'importe quel éditeur. C'est un droit acquis. Cependant, il peut arriver qu'un acte antérieur au décret sanctionnant la réintégration d'Haïti à la Convention de Berne ne soit pas définitivement accompli. Dans ce cas, il tombe dans le champ d'application de ce décret et est soumis à ses effets immédiats. Voilà un acte légitimement accompli qui, en vertu du principe5 des conflits de lois dans le temps va être remis en cause. Si un acte d'opposition lui est signifié, que va faire cet éditeur avec sa reproduction non encore commercialisée? Le décret de 1995 n'en dit mot. Si celui qui entend bénéficier de la nouvelle règle agit dans son droit, que faut-il faire ? Y répondre n'est pas facile, mais la question mérite qu'on y réfléchisse.

Outre la réintégration de la Convention de Berne, Haïti a aussi signé l'Accord sur les aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui Touchent au Commerce (ADPIC). Cet acte prévoit en son article 12 une durée de protection qui ne peut être inférieure à 50 ans. Autre instrument certes, mais la même exigence en ce qui concerne la durée de protection.

Le faible niveau de protection du décret de 1968 pousse tout créateur conscient des enjeux du droit d'auteur à recourir à une législation plus protectrice. Les exploitants du droit d'auteur en font pareil. Peu à peu, le pays est vidé d'auteurs d'envergure. Sa culture d'œuvres majeures. La raison est simple en droit d'auteur, une œuvre a la nationalité du pays de sa publication. Ce qui explique pourquoi Dany Laferrière et Emile Olivier ont représenté le Québec à la foire du livre de Paris en 1999 et non Haïti. L'urgence chauffe. Il faut renforcer pour augmenter le niveau de protection. Avec l'adhésion aux instruments internationaux, un pas a été franchi. Harmoniser. Tel1 est le deuxième à faire. A cette tâche, le nouveau projet de loi sur le droit d'auteur et les droits voisins qui sera bientôt soumis au parlement s'y est attelée déjà. Heureusement !

__________

1 Délia Lipszyl, Droit d'Auteur et Droits Voisins, Ed. UNESCO, Paris, 1997.

2 Ibid

3 Claude Colombet, grands principes du droit d'auteur et des droits voisins dans le monde, approche de droit comparé, Ed. UNESCO/ Litec, Paris, 1992.

4 David Ruzié, Droit International Public, col.: Mementos Dalloz, Ed. Dalloz, Paris, 1991. 5 Décision de la Cour de Justice des Communautés Européennes in Panorama de la Presse Juridique, No 109, Paris, avril 2000, pp. 34-39.


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Publication web - 30 mai 2002
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