Durée de protection des uvres
Le décret du 9 janvier 1968 sur les droits
d'auteurs d'uvres littéraires, scientifiques
et artistiques, pour faire suite à l'article 23,
dispose en son article 24: " A la mort d'un
auteur, les mêmes prérogatives passent à ses
héritiers qui en bénéficient, comme titulaires de
ses droits patrimoniaux pendant vingt-cinq ans, à
compter de son décès, dans l'ordre et selon les
règles déterminées au Code Civil pour les
successions. Après quoi les ouvrages protégés
tombent dans le domaine public". Ils deviennent
libres de droit et enrichissent le bien commun.
Chacun peut les exploiter sans être inquiété. Leur
exploitation n'exige aucun recours à l'autorisation
des ayants droit. Libre utilisation pour les
uvres tombées dans le domaine public certes,
mais, outre le décès, d'autres facteurs
déterminent le délai de protection comme ce texte
s'essayera à le démontrer.
Durée de protection et uvre
simple
La durée de protection envisagée sous le régime
du décret de 1968 concerne les uvres ayant un
seul et unique auteur. Les dispositions y relatives
visent surtout les créations publiées du vivant
d'un auteur. Or il existe d'autres uvres
simples qui peuvent sortir longtemps après la mort
de celui qui les a créées. C'est le cas des
uvres posthumes. Le statut de ces dernières
interdit de prendre la date de décès comme unique
critère servant à calculer la durée de protection
puisque leurs auteurs ne peuvent mourir deux fois.
Que dire d'un ouvrage critique d'une uvre
déjà tombée dans le domaine public ? Ces quelques
cas, parmi d'autres, en ce qui a trait aux
uvres simple, n'avaient pas retenu l'attention
des rédacteurs du décret.
En dehors des uvres simples, il existe
d'autres ouvrages ayant plusieurs auteurs. Quand l'un
des co-auteurs meurt, les autres lui survivent. Leurs
droits aussi. Cet aspect et bien d'autres facteurs
ont un rôle non négligeable dans la détermination
de la durée de protection. Malheureusement le
décret de 1968 n'y a pas songé. Les dégâts sont
multiples. Des uvres tombent prématurément
dans le domaine public. Des ayants droit perdent
leurs droits légitimes sur des uvres. Ce qui
conduit à une situation paradoxale : la législation
lèse les intérêts de ceux dont elle est censée
protéger les droits. C'est la situation des
uvres complexes.
Durée de protection et uvre
complexe
Aujourd'hui, divers auteurs participent à la
création d'une seule uvre comme l'illustrent
les uvres de collaboration. Une uvre
musicale avec parole par exemple nécessite souvent
la coopération d'un compositeur et d'un parolier au
moins. La mort de l'auteur du texte chanté, 25 ans
après, n'anéantit en rien les droits de ses
héritiers, ni ceux du compositeur survivant. La
durée de protection d'une telle création, comme l'a
établit la doctrine depuis longtemps, doit commencer
à courir à la mort du dernier des co-auteurs. S'il
faut appliquer l'article 24 du décret de 1968, la
protection de ce morceau cesse 25 ans après la mort
du parolier. Ainsi, la législation dépossédera le
titulaire survivant de ses droits légitimes.
Les uvres collectives comme les
dictionnaires, les encyclopédie, les manuels et bien
d'autres sont généralement publiées sous le nom de
personnes morales. Au regard de l'article 20 du
décret de 1968 stipulant que " le droit à la
paternité, sur une uvre littéraire ou
artistique, est le droit qu'a l'auteur de la publier
sous son nom... ", ces actes font de ces
institutions les premières propriétaires de droits
sur leurs publications. S'il faut calculer pour leurs
ouvrages le délai de protection, on ne peut se
contenter des dispositions de l'article 24. Car la
longévité d'une entreprise propriétaire de droits
à titre originaire sur une création de l'esprit ne
peut être fonction de l'espérance de vie d'un être
humain. D'ailleurs la fraîcheur des institutions
centenaires comme les Editions Henri Deschamps et Le
Nouvelliste en disent long à ce sujet. Obligées,
dans de pareil cas, d'écarter la mort comme unique
critère, d'autres législations1, du droit latin,
pour déterminer la durée de protection, ont retenu
plutôt l'année civile suivant la publication d'une
uvre collective. Dans le cas où celle-ci est
publiée en plusieurs volumes, la durée de
protection commence à courir à partir du premier
janvier de chaque tome publié. Si l'ensemble est
édité sur 20 ans, la durée de protection débute
à compter de la publication du dernier élément dit
la loi française.
Outre les types d'uvres, d'autres facteurs
comme les instruments internationaux mettent en
évidence la désuétude de l'article 24 du décret
de 1968.
Durée de protection, décret de 1968
et instruments internationaux
Le souci d'assurer une protection aux auteurs
ainsi qu'à leurs uvres en dehors des
frontières a poussé à la signature des Conventions
et Accords internationaux. L'adhésion du pays à ces
textes commande de les intégrer dans la législation
locale. Voilà ce qui explique que les 25 ans
prônés par lé décret de 1968 coïncident
parfaitement avec la durée de protection visée par
la Convention Universelle qu'Haïti a signé le 16
septembre 19552. Ici, il y a harmonisation certes,
mais la publication du décret du 9 août 1995
sanctionnant la réintégration du pays à la
Convention de Berne change la donne. Car dans la
déclaration annexe de la Convention universelle
relative à son article XVII, il est précisé que
" La Convention de Genève ne sera pas
applicable, dans les rapports entre pays liés par la
Convention de Berne, en ce qui concerne la protection
des uvres qui, aux termes de cette convention,
ont comme pays d'origine l'un des pays de
l'Union3". Ce passage établit de façon claire
la primauté de la Convention de Berne. L'application
de celle-ci suppose le respect de sont article 7
stipulant que " la durée de protection comprend
la vie de l'auteur et cinquante ans après sa mort
".
La résurrection de la Convention de Berne dans
notre législation pose aussi le problème d'autres
types d'uvres par rapport au délai de
protection. En effet, évoquant le cas des
uvres cinématographiques, cette dernière fixe
la durée à compter de l'année de la réalisation
ou de la publication de telles créations. Quant aux
uvres de collaboration, leur protection selon
cet instrument, s'éteint cinquante ans près la mort
du dernier co-auteur.
Certains auteurs ne publient pas sous leur vrai
nom. Leurs créations sont des uvres
pseudonymes. Dans la mesure où il s'avère
impossible d'identifier ces auteurs, la durée de
protection se calcule à compter de l'année civile
suivant la publication de leurs ouvrages. En ce qui a
trait aux uvres anonymes, l'article 7 alinéa 3
de la Convention de Berne établit le même
raisonnement. Le délai de protection pour ces
uvres expire " Cinquante (50) ans après
que l'uvre a été licitement rendue accessible
au public ".
Haïti est redevenue membre de la Convention de
Berne. Cet instrument a force obligatoire pour les
Etats signataires. Il fait corps avec la législation
locale4 et la renforce. Cependant le décret du 9
août 1995 marquant le retour à l'Union n'ayant pas
statué sur le cas des uvres déjà tombées
dans le domaine public risque attribuer à une règle
nouvelle la gestion des effets futurs d'un acte né
sous l'empire de l'article 24 du décret de 1968.
Ainsi, toute exploitation en cours d'uvres
tombant sous le coup dudit décret peut être
confronté à deux problèmes. La renaissance des
droits. La mise en cause des droits acquis.
Renaissance des droits
La Convention de Berne fixe à cinquante ans la
durée minimale de protection. Du coup, les droits
relatifs à des uvres déjà tombées dans le
domaine public peuvent renaître. Cette éventualité
peut surprendre dans la mesure où elle tend à
reprivatiser des ouvrages appartenant au bien commun.
Mais, si aucun texte ne dit mot sur le cas des
uvres concernées par cette nouvelle situation,
il faut admettre que rien n'interdit à leurs ayants
droit de vouloir bénéficier de cette prolongation.
Mise en cause des droits acquis
Un roman tombé dans le domaine public peut être
exploité par n'importe quel éditeur. C'est un droit
acquis. Cependant, il peut arriver qu'un acte
antérieur au décret sanctionnant la réintégration
d'Haïti à la Convention de Berne ne soit pas
définitivement accompli. Dans ce cas, il tombe dans
le champ d'application de ce décret et est soumis à
ses effets immédiats. Voilà un acte légitimement
accompli qui, en vertu du principe5 des conflits de
lois dans le temps va être remis en cause. Si un
acte d'opposition lui est signifié, que va faire cet
éditeur avec sa reproduction non encore
commercialisée? Le décret de 1995 n'en dit mot. Si
celui qui entend bénéficier de la nouvelle règle
agit dans son droit, que faut-il faire ? Y répondre
n'est pas facile, mais la question mérite qu'on y
réfléchisse.
Outre la réintégration de la Convention de
Berne, Haïti a aussi signé l'Accord sur les aspects
des Droits de Propriété Intellectuelle qui Touchent
au Commerce (ADPIC). Cet acte prévoit en son article
12 une durée de protection qui ne peut être
inférieure à 50 ans. Autre instrument certes, mais
la même exigence en ce qui concerne la durée de
protection.
Le faible niveau de protection du décret de 1968
pousse tout créateur conscient des enjeux du droit
d'auteur à recourir à une législation plus
protectrice. Les exploitants du droit d'auteur en
font pareil. Peu à peu, le pays est vidé d'auteurs
d'envergure. Sa culture d'uvres majeures. La
raison est simple en droit d'auteur, une uvre a
la nationalité du pays de sa publication. Ce qui
explique pourquoi Dany Laferrière et Emile Olivier
ont représenté le Québec à la foire du livre de
Paris en 1999 et non Haïti. L'urgence chauffe. Il
faut renforcer pour augmenter le niveau de
protection. Avec l'adhésion aux instruments
internationaux, un pas a été franchi. Harmoniser.
Tel1 est le deuxième à faire. A cette tâche, le
nouveau projet de loi sur le droit d'auteur et les
droits voisins qui sera bientôt soumis au parlement
s'y est attelée déjà. Heureusement !
__________
1 Délia Lipszyl, Droit d'Auteur et Droits
Voisins, Ed. UNESCO, Paris, 1997.
2 Ibid
3 Claude Colombet, grands principes du droit
d'auteur et des droits voisins dans le monde,
approche de droit comparé, Ed. UNESCO/ Litec, Paris,
1992.
4 David Ruzié, Droit International Public, col.:
Mementos Dalloz, Ed. Dalloz, Paris, 1991. 5 Décision
de la Cour de Justice des Communautés Européennes
in Panorama de la Presse Juridique, No 109, Paris,
avril 2000, pp. 34-39.