Willems Edouard - Haiti : Droit d'auteur et propriété intellectuelle

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Le rôle économique du droit d'auteur

Ecrire un livre, composer un morceau, bref faire une oeuvre est une activité exigente. Celui qui s'y exerce investit du temps, des ressources intellectuelles, un savoir-faire. Or, souvent, créer ne rime pas avec travail parallèle. Ce paradoxe de la vie des auteurs ne laisse pas d'interpeller la société. Faut-il contraindre un créateur qui n'a pas les moyens de subvenir à ses propres besoins de trouver un autre emploi pour gagner sa vie ou considérer l'activité créatrice comme un métier à part entière ?

Livres, chansons, de l'œuvre au produit

Gutenberg inventa l'imprimerie. Depuis un texte peut être reproduit en des millions d'exemplaires. Son succès auprès des imprimeurs a précipité l'intégration des créations littéraires dans le circuit économique. Publication, reproduction, distribution, vente en librairie ou par colportage ; le marché du livre existe.

Le développement des technologies amplifie le phénomène et l'étend à d'autres domaines de création. De nos jours, on n'a plus besoin d'aller à un concert pour satisfaire ses goûts de mélomane. La musique devient un disque, une cassette, un clip, un CD, bref un produit de grande consommation. De plus en plus, la tendance s'accentue avec l'émergence des médias transfrontaliers et de l'internet.

Les innovations technologiques transforment la plupart des œuvres en produits. Ce passage révèle une chose : les œuvres font objet de commerce et se prêtent souvent à une pluralité d'offres. En effet, un livre à succès, c'est une édition classique, une édition de poche, une édition de luxe. Un album qui marche connaît aussi le même destin. A l'édition originale se succèdent d'autres comme: 33 tours, 45 tours, CD, compilation des meilleurs titres, version live, reproductions, etc. L'évidence est là, les œuvres ont bel et bien une carrière commerciale.

Droit d'auteur et statut économique de l'auteur

Dans le temps, les auteurs dans leurs œuvres, s'appliquaient à rendre hommage. Le profit qu'ils en tiraient s'apparentait davantage à une compensation qu'à la valeur marchande de leurs œuvres. Aujourd'hui encore, hélas ! les œuvres ne font pas vivre leurs auteurs. Or vivre professionnellement d'un livre ou d'un disque, c'est refuser de dépendre d'un bienfaiteur ou d'une activité tierce. Mais le caractère subjectif1 des critères d'évaluation des productions intellectuelles rend difficile l'attribution d'une valeur certaine au travail d'un auteur. Faut-il recourir au droit du travail ou au droit commercial ? Non. Les deux sont inaptes à définir la valeur d'une œuvre de l'esprit. Faut-il s'abandonner à un autre domaine juridique? Certainement. Et, les expériences menées dans d'autres pays, confirment que seul le droit d'auteur, de manière certaine, " permet, dans sa fonction de rémunération, de rétribuer l'auteur selon la valeur économique (marchande) qu'il conféré à l'œuvre ".2

Droit d'auteur : remède contre le piratage

Les livres et disques circulent dans un marché. Qui dit marché, dit l'existence de règles. En Haïti, le non-respect de la législation sur le droit d'auteur en fait un terrain propice aux utilisations illégales et au développement du piratage. Ce dernier, là où il règne affecte considérablement l'entrée en marché des œuvres authentiques. L'œuvre piratée précède l'originale, envahit les espaces de vente, concurrence le vrai produit et nuit à sa diffusion. Or en matière littéraire et artistique, une œuvre se vend ou ne se vend pas. Le stocker n'est presque d'aucune utilité économique car un livre ou un disque, qui rate son entrée commercial a rarement la chance de refaire une carrière. Ainsi, le développement de la reproduction illicite comme la diffusion incontrôlée dans les domaines littéraire et artistique réduisent non seulement les opérations d'entrepreneurs culturels honnêtes qui misent sur des talents, mais aussi concourent à moyen terme à faire baisser les activités d'autres partenaires comme les imprimeurs, les libraires, les critiques, les distributeurs; les producteurs, les disquaires, les agents artistiques, les organisateurs de spectacles, les propriétaires de salle pour ne citer que ceux la. Par conséquent, la persistance d'une telle situation se révèle néfaste autant pour la création que pour l'industrie culturelle rebaptisée aujourd'hui industrie du droit d'auteur3. Y mettre fin commande l'instaurer le droit d'auteur. De nombreux rapport l'attestent. Là ou règne ce droit, les activités de piraterie cessent ou sont considérablement réduites

Droit d'auteur et PNB

Livres, disques; vente, location; coût éditorial, reproduction illégale ; les œuvres ont un poids économique. Sa valeur oscille ente 2 et 6.6% du PNB4. De 1959 à 1996, des études5 menées en Amérique, en Europe et en Asie montre que son apport dépasse celui de l'hôtellerie et du transport maritime6, des bois, textiles et chimiques7, des industries alimentaires et automobiles réunies8. Ces chiffres illustrent les propos de la première mission de l'OMPI en Haïti disant que " dans la plupart des pays membres de l'Union établie par la Convention de Berne, sinon dans tous ces pays, l'industrie culturelle est plus florissante que l'industrie d'assemblage ou que l'industrie touristique9 ". Or on ne peut pas parler d'industrie culturelle sans l'établissement d'un système efficace de protection du droit d'auteur.

Droit d'Auteur ou importantes sources de rentrées pour le fisc

Quoique lacunaire, le décret de 1968 existe. Le pays a réintégré la Convention de Berne. Cette réintégration ouvre la voie à la récupération des droits des auteurs nationaux abandonnés aux sociétés d'auteurs étrangères. Il s'agit de millions de dollars10. Leur rapatriement contribuerait à une augmentation considérable de l'impôt sur le revenu.

Selon ce texte international (art.2.3 et 2.4), le pays d'origine d'une œuvre est celui de la première publication. Haïti étant redevenue membre, son statut peut, si elle œuvre effectivement pour protéger le droit d'auteur, porter les grandes multinationales de l'industrie du disque à s'y établir. Leurs publications seront des œuvres haïtiennes. Et, les droits qu'elles généreront, imposables.

La signature de l'Accord sur les Aspects des Droits Propriétés Intellectuelle qui touchent au Commerce (ADPIC) aura pour effet la reconnaissance des droits voisins. Ces droits bénéficient aux producteurs de phonogrammes. L' application des dispositions y relatives permettront à tous ceux qui produisent des CD, des cassettes de percevoir des droits représentant un retour sur leur investissement. C'est un atout supplémentaire susceptible d'attirer des producteurs professionnels soucieux de leurs droits voisins. Il en résultera une augmentation du volume d'investissement dans le secteur du disque qui se traduira par un élargissement de l'assiette fiscale.

De plus, chez nous, un musicien, un écrivain, bref un auteur qui n'a pas d'autres activités est un chômeur professionnellement actif. Travaillant dans l'informel total, il n'a aucune pièce pouvant justifier qu'il gagne régulièrement de l'argent grâce à son œuvre. De ce fait, un créateur peut difficilement être contraint à payer l'impôt sur le revenu. Cependant l'existence d'un organisme d'auteurs peut changer cette réalité. En effet, l'activité d'une telle institution permet aux auteurs de recevoir, sous forme d'argent, les droits que leurs œuvres génèrent. Ce qui ne peut que grossir les caisses du trésor public.

Production incontrôlée, piratage, baisse de la création ; le marché évolue sans norme. L'intégration du circuit économique y expose toute œuvre. Or il ne peut exister de marché sans l'établissement de règles. La création d'un cadre régulateur suppose l'intervention du droit. Il ne s'agit pas du droit commun des affaires, ni de celui du travail, mais du droit d'auteur. D'un côté pour réguler la production et protéger les investissements, de l'autre, les relations de travail dans les secteurs de la création et la rémunération des auteurs.

__________

1 Emmanuel Kant, Qu'est-ce qu'un livre ? Ed : Quadrige/ PUF, Paris 1995.

2 Benozi P.J, Paris, Th, inciter, protéger, rémimer. Quels droits pour quels auteurs ? Rapport sur l'économie des droits propriété intellectuelle, Paris, mai 1997.

3 Shahid Alikhan, le rô le du droit d'auteur dans le développement : l'expérience de l'Asie in " Bulletin du droit d'auteur ", vol. xxx, No.4, Paris oct-dec. 1996, pp. 3-24.

4 Carlos M. Correa, l'importance économique du droit d'auteur et des droits voisins en Amérique Latine in " Bulletin du droit d'auteur ", xxxiv, No.2, Paris, avril- juin 2000, pp. 4-25.

5 Ibid.

6 Voir 3.

7 La politique québécoise du développement culturel, vol.III, Ed. Editeur officiel, Québec, 1978.

8 Delia Lipszyc, Droit d'auteur et droits voisins, Ed. UNESCO, Paris, 1997.

9 Rapport OMPI, Genève, 1991. 10 Ibid.


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