Le rôle économique du droit d'auteur
Ecrire un livre, composer un morceau, bref faire
une oeuvre est une activité exigente. Celui qui s'y
exerce investit du temps, des ressources
intellectuelles, un savoir-faire. Or, souvent, créer
ne rime pas avec travail parallèle. Ce paradoxe de
la vie des auteurs ne laisse pas d'interpeller la
société. Faut-il contraindre un créateur qui n'a
pas les moyens de subvenir à ses propres besoins de
trouver un autre emploi pour gagner sa vie ou
considérer l'activité créatrice comme un métier
à part entière ?
Livres, chansons, de l'uvre au
produit
Gutenberg inventa l'imprimerie. Depuis un texte
peut être reproduit en des millions d'exemplaires.
Son succès auprès des imprimeurs a précipité
l'intégration des créations littéraires dans le
circuit économique. Publication, reproduction,
distribution, vente en librairie ou par colportage ;
le marché du livre existe.
Le développement des technologies amplifie le
phénomène et l'étend à d'autres domaines de
création. De nos jours, on n'a plus besoin d'aller
à un concert pour satisfaire ses goûts de
mélomane. La musique devient un disque, une
cassette, un clip, un CD, bref un produit de grande
consommation. De plus en plus, la tendance s'accentue
avec l'émergence des médias transfrontaliers et de
l'internet.
Les innovations technologiques transforment la
plupart des uvres en produits. Ce passage
révèle une chose : les uvres font objet de
commerce et se prêtent souvent à une pluralité
d'offres. En effet, un livre à succès, c'est une
édition classique, une édition de poche, une
édition de luxe. Un album qui marche connaît aussi
le même destin. A l'édition originale se succèdent
d'autres comme: 33 tours, 45 tours, CD, compilation
des meilleurs titres, version live, reproductions,
etc. L'évidence est là, les uvres ont bel et
bien une carrière commerciale.
Droit d'auteur et statut économique
de l'auteur
Dans le temps, les auteurs dans leurs uvres,
s'appliquaient à rendre hommage. Le profit qu'ils en
tiraient s'apparentait davantage à une compensation
qu'à la valeur marchande de leurs uvres.
Aujourd'hui encore, hélas ! les uvres ne font
pas vivre leurs auteurs. Or vivre professionnellement
d'un livre ou d'un disque, c'est refuser de dépendre
d'un bienfaiteur ou d'une activité tierce. Mais le
caractère subjectif1 des critères d'évaluation des
productions intellectuelles rend difficile
l'attribution d'une valeur certaine au travail d'un
auteur. Faut-il recourir au droit du travail ou au
droit commercial ? Non. Les deux sont inaptes à
définir la valeur d'une uvre de l'esprit.
Faut-il s'abandonner à un autre domaine juridique?
Certainement. Et, les expériences menées dans
d'autres pays, confirment que seul le droit d'auteur,
de manière certaine, " permet, dans sa fonction
de rémunération, de rétribuer l'auteur selon la
valeur économique (marchande) qu'il conféré à
l'uvre ".2
Droit d'auteur : remède contre le
piratage
Les livres et disques circulent dans un marché.
Qui dit marché, dit l'existence de règles. En
Haïti, le non-respect de la législation sur le
droit d'auteur en fait un terrain propice aux
utilisations illégales et au développement du
piratage. Ce dernier, là où il règne affecte
considérablement l'entrée en marché des
uvres authentiques. L'uvre piratée
précède l'originale, envahit les espaces de vente,
concurrence le vrai produit et nuit à sa diffusion.
Or en matière littéraire et artistique, une
uvre se vend ou ne se vend pas. Le stocker
n'est presque d'aucune utilité économique car un
livre ou un disque, qui rate son entrée commercial a
rarement la chance de refaire une carrière. Ainsi,
le développement de la reproduction illicite comme
la diffusion incontrôlée dans les domaines
littéraire et artistique réduisent non seulement
les opérations d'entrepreneurs culturels honnêtes
qui misent sur des talents, mais aussi concourent à
moyen terme à faire baisser les activités d'autres
partenaires comme les imprimeurs, les libraires, les
critiques, les distributeurs; les producteurs, les
disquaires, les agents artistiques, les organisateurs
de spectacles, les propriétaires de salle pour ne
citer que ceux la. Par conséquent, la persistance
d'une telle situation se révèle néfaste autant
pour la création que pour l'industrie culturelle
rebaptisée aujourd'hui industrie du droit d'auteur3.
Y mettre fin commande l'instaurer le droit d'auteur.
De nombreux rapport l'attestent. Là ou règne ce
droit, les activités de piraterie cessent ou sont
considérablement réduites
Droit d'auteur et PNB
Livres, disques; vente, location; coût
éditorial, reproduction illégale ; les uvres
ont un poids économique. Sa valeur oscille ente 2 et
6.6% du PNB4. De 1959 à 1996, des études5 menées
en Amérique, en Europe et en Asie montre que son
apport dépasse celui de l'hôtellerie et du
transport maritime6, des bois, textiles et
chimiques7, des industries alimentaires et
automobiles réunies8. Ces chiffres illustrent les
propos de la première mission de l'OMPI en Haïti
disant que " dans la plupart des pays membres de
l'Union établie par la Convention de Berne, sinon
dans tous ces pays, l'industrie culturelle est plus
florissante que l'industrie d'assemblage ou que
l'industrie touristique9 ". Or on ne peut pas
parler d'industrie culturelle sans l'établissement
d'un système efficace de protection du droit
d'auteur.
Droit d'Auteur ou importantes sources
de rentrées pour le fisc
Quoique lacunaire, le décret de 1968 existe. Le
pays a réintégré la Convention de Berne. Cette
réintégration ouvre la voie à la récupération
des droits des auteurs nationaux abandonnés aux
sociétés d'auteurs étrangères. Il s'agit de
millions de dollars10. Leur rapatriement
contribuerait à une augmentation considérable de
l'impôt sur le revenu.
Selon ce texte international (art.2.3 et 2.4), le
pays d'origine d'une uvre est celui de la
première publication. Haïti étant redevenue
membre, son statut peut, si elle uvre
effectivement pour protéger le droit d'auteur,
porter les grandes multinationales de l'industrie du
disque à s'y établir. Leurs publications seront des
uvres haïtiennes. Et, les droits qu'elles
généreront, imposables.
La signature de l'Accord sur les Aspects des
Droits Propriétés Intellectuelle qui touchent au
Commerce (ADPIC) aura pour effet la reconnaissance
des droits voisins. Ces droits bénéficient aux
producteurs de phonogrammes. L' application des
dispositions y relatives permettront à tous ceux qui
produisent des CD, des cassettes de percevoir des
droits représentant un retour sur leur
investissement. C'est un atout supplémentaire
susceptible d'attirer des producteurs professionnels
soucieux de leurs droits voisins. Il en résultera
une augmentation du volume d'investissement dans le
secteur du disque qui se traduira par un
élargissement de l'assiette fiscale.
De plus, chez nous, un musicien, un écrivain,
bref un auteur qui n'a pas d'autres activités est un
chômeur professionnellement actif. Travaillant dans
l'informel total, il n'a aucune pièce pouvant
justifier qu'il gagne régulièrement de l'argent
grâce à son uvre. De ce fait, un créateur
peut difficilement être contraint à payer l'impôt
sur le revenu. Cependant l'existence d'un organisme
d'auteurs peut changer cette réalité. En effet,
l'activité d'une telle institution permet aux
auteurs de recevoir, sous forme d'argent, les droits
que leurs uvres génèrent. Ce qui ne peut que
grossir les caisses du trésor public.
Production incontrôlée, piratage, baisse de la
création ; le marché évolue sans norme.
L'intégration du circuit économique y expose toute
uvre. Or il ne peut exister de marché sans
l'établissement de règles. La création d'un cadre
régulateur suppose l'intervention du droit. Il ne
s'agit pas du droit commun des affaires, ni de celui
du travail, mais du droit d'auteur. D'un côté pour
réguler la production et protéger les
investissements, de l'autre, les relations de travail
dans les secteurs de la création et la
rémunération des auteurs.
__________
1 Emmanuel Kant, Qu'est-ce qu'un livre ? Ed :
Quadrige/ PUF, Paris 1995.
2 Benozi P.J, Paris, Th, inciter, protéger,
rémimer. Quels droits pour quels auteurs ? Rapport
sur l'économie des droits propriété
intellectuelle, Paris, mai 1997.
3 Shahid Alikhan, le rô le du droit d'auteur dans
le développement : l'expérience de l'Asie in "
Bulletin du droit d'auteur ", vol. xxx, No.4,
Paris oct-dec. 1996, pp. 3-24.
4 Carlos M. Correa, l'importance économique du
droit d'auteur et des droits voisins en Amérique
Latine in " Bulletin du droit d'auteur ",
xxxiv, No.2, Paris, avril- juin 2000, pp. 4-25.
5 Ibid.
6 Voir 3.
7 La politique québécoise du développement
culturel, vol.III, Ed. Editeur officiel, Québec,
1978.
8 Delia Lipszyc, Droit d'auteur et droits voisins,
Ed. UNESCO, Paris, 1997.
9 Rapport OMPI, Genève, 1991. 10 Ibid.