Willems Edouard - Haiti : Droit d'auteur et propriété intellectuelle

Couverture



La Protection des œuvres audiovisuelles

On se plaint souvent d'une présence dérisoire de contenus haïtiens dans la programmation des différentes télévisions du pays. Et pourtant les créations audiovisuelles ne manquent pas. Le Projet Franco-haïtien d'Appui aux Télévisions (PFHAT) en a financé totalement ou en partie à lui seul 17 dont la Peur d'aimer, Ti Ga Haïti, rêves, possession, création, folie, Cicatrices II, etc. Outre le soutien à la création audiovisuelle, le PFHAT a déjà mis sur pieds près d'une quinzaine de formations aux métiers de l'audiovisuel. Nul doute que son action relance l'activité créatrice dans ce secteur. Le nombre de professionnels augmente. La production aussi. Cette dynamique marche de paire avec l'établissement d'un système de droit d'auteur comme l'a signalé Jérôme Kanapa à l'occasion du stage sur l'écriture et la réalisation d'une œuvre documentaire organisé par le projet du 9 au 13 juillet 2001. Le débat sur les enjeux y relatifs n'a laissé indifférent aucun participant. Certains surpris, d'autres curieux ; pour des réalisateurs souvent, peu soucieux de leurs droits d'auteur, le propos a fait mouche. Voilà ce qui amène a posé le problème de la protection des œuvres audiovisuelles.

Œuvres audiovisuelles

Les créations audiovisuelles abondent. Nulle part dans le décret de 1968, on n'en trouve nommément trace. L'article 11 mentionne dans sa liste de créations de l'esprit protégeables les œuvres cinématographiques certes, mais s'en contenter, c'est oublier que l'audiovisuel1 ne s'arrête pas au cinéma. Les exemples sont multiples. A la télé, il existe des séries, des feuilletons, des téléfilms, des récits, des vidéogrammes, etc. Toutes, des œuvres " exprimées par un procédé analogue à la cinématographie " comme l'atteste l'article 2.1 de la Convention de Berne. A ces œuvres d'imagination, il faut adjoindre celles d'information2 aux allures très télévisuelles. Réalisation technique et transcription de la réalité diriez-vous en ce qui concerne ces dernières. Peut-être. Mais la réalisation d'un programme, d'un documentaire comme d'un reportage suppose des choix d'images, une mise en cohérence, un point de vue, des commentaires, une scénarisation des faits. L'ensemble laisse transpirer la personnalité de leur concepteur qui est la touche du réalisateur. Cette part de lui qui individualise sa réalisation jusqu'à lui donner une forme personnelle va au-delà d'une simple reproduction de la réalité. Ainsi, du factuel pur et simple, on passe à la création. Voilà pourquoi constituent des œuvres audiovisuelles " des œuvres cinématographiques et autres œuvres consistant dans des séquences animées d'images sonorisées ou non "3. Outre le cinéma et la télévision, il en existe spécialement conçues pour la radio4. Ces créations font partie de la même famille.

Nature

La confection d'une œuvre audiovisuelle mobilise des compétences diverses. Un scénario à écrire, un dialogue à faire, une musique à composer, bref une série d'activités créatrices sollicitant l'apport de différents talents. Chaque contribution constitue une création en soi. L'ensemble est coordonné et fusionné pour donner une œuvre commune appelée, dans le système latin, faute de mieux : œuvre de collaboration. Il s'agit d'une œuvre à laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques. Sur sa nature, le décret de 1968 reste muet.

Conditions de protection

Le décret de 1968 stipule en son article 41 que " La propriété littéraire, sur une œuvre de l'esprit existe de plein droit, du seul fait de sa création , indépendamment de toute formalité ". Ainsi, sans être achevée ou divulguée, l'existence d'une œuvre audiovisuelle suffit à lui faire bénéficier des faveurs de la législation.

Les articles 14, 15 et 49 relatifs aux œuvres dérivées, aux ouvrages tombés dans le domaine public, aux lettres massives conditionnent la protection de ceux-ci à la présence d'originalité. Ces conditions valent également pour toutes les œuvres de première main nées de l'imagination de leurs auteurs renchérit la doctrine5. il y va de même des créations audiovisuelles d'information. Car " En matière de films documentaires destinés à l'actualité, Mme Gaudel nous donne une excellente approche de cette notion d'originalité dans le domaine visuel. Le travail du créateur consiste à traduire un fait en images et, les rapports existant entre la réalisation ainsi effectuée et ce fait originaire sont comparables à ceux du " fait brut " et de l'article de journal qui le commente. Si donc l'enchaînement des images constitue une relation de cet événement où apparaît un effort de l'auteur pour en exposer le déroulement au public dans une composition originale qui emprunte une forme personnelle reflétant sa pensée dans l'interprétation qu'il offre des choses, il y a œuvre de l'esprit investie du droit d'auteur... ".6 Existence et originalité, voilà les deux critères indispensables.

Auteurs

La création d'une œuvre audiovisuelle suppose la collaboration de plusieurs auteurs. Son existence implique la fusion des contributions de chacun. Cette mise en commun d'apports créateurs relevant des genres différents donne naissance à un ouvrage commun, indivis sur le tout. Une fois achevée, la version définitive génère des droits. Dans le système latin, toutes les législations s'accordent pour en attribuer la paternité à chacun des collaborateurs. Nul besoin de s'attarder sur le mérite et la valeur esthétique. Le droit d'auteur n'en fait pas cas.

Sur la liste, pour parler des principaux, figure au moins le scénariste, le dialoguiste, le compositeur de la musique dans la mesure où celle-ci est spécialement créée pour l'œuvre en question. Il ne faut surtout pas oublier l'auteur principal qu'est le réalisateur. S'il s'agit d'un livre porté à l'écran, l'adaptateur comme l'écrivain bénéficie aussi du titre d'auteur. Une œuvre, plusieurs auteurs certes, mais à l'exception du compositeur chacun ne peut exercer ses droits que sur la version finale.

En matière de création audiovisuelle, la notion d'auteur est très élastique. Tout technicien7 dont l'empreinte reste sur la version finale peut y prétendre. Cependant, d'emblée il faut écarter le producteur qui, même s'il a eu l'idée originale, n'en demeure pas moins un investisseur et négociateur8 de contrats. Son rôle est extrêmement important, mais ne mobilise aucun apport créateur propre qui l'y habilitera. Toutefois, rien n'interdit à un scénariste ou un réalisateur, - Haïti en fourmille - de cumuler les titres d'auteur et de producteur. En pareil cas, on est en plein dans l'auto production.

Autres titulaires de droits

Haïti a signé l'Accord sur les aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce (ADPIC). Cet instrument qui doit, en ce qui concerne les pays en voie de développement, entrer en vigueur le premier janvier 2006,9 a fait sienne, entre autres, des dispositions de la convention de Rome. Son application, le moment venu, permettra de protéger des catégories jusque-là écartées par le décret de 1968. il s'agit des artistes interprètes, des organismes de radiodiffusion. Les premiers pour leurs rôles et prestations. Les seconds, pour leurs émissions. Ils sont tous détenteurs de droits voisins sur les œuvres audiovisuelles. Au même titre que ces deux titulaires, le producteur d'un disque dont une musique est utilisée dans une œuvre audiovisuelle jouit également de ces mêmes droits. C'est le cas aussi pour les producteurs de vidéogrammes10. Droit d'auteur et droits voisins, cette extension de la protection ne peut que renforcer le cadre légal national et encourager l'investissement ainsi que la production dans ce domaine de création.

Droits sur les œuvres audiovisuelles

Le décret de 1968 protège les œuvres cinématographiques. Haïti en réintégrant la Convention de Berne étend la protection aux autres créations de l'esprit du même genre. Du coup, sur chaque ouvrage audiovisuel, un auteur bénéficie des droits moraux et patrimoniaux traditionnellement octroyés aux créateurs. Aujourd'hui la prolifération de vidéo clubs spécialisés dans la location d'œuvres audiovisuelles montre que la carrière commerciale de ce type de création ne se limite pas aux diffusions en salles et à la télévision. Cette réalité est prise en compte par les ADPIC que le pays a signé. La disposition y relative viendra enrichir notre législation d'un nouveau droit appelé droit de location. Son introduction comble les lacunes du décret en vigueur. Comme les autres attributs des droits patrimoniaux, son utilisation est subordonnée à l'autorisation expresse des auteurs et des autres ayants droit.

D'autres droits, dans le cadre de cet accord, sont reconnus aux organismes de radiodiffusion. Il s'agit du droit de fixation, de réémission, de reproduction de fixation et de communication au public.

L'attribution de ces nouveaux droits est une bonne chose. Cependant, dans le cas des médias électroniques est-il moralement correct d'octroyer des droits pour des contenus utilisant largement des œuvres protégées sans autorisation ?

Exploitations

" Les auteurs ont le droit exclusif, durant leur vie, de vendre, faire vendre, distribuer, représenter, traduire ou faire traduire dans un autre idiome, leurs ouvrages généralement quelconques, d'en céder la propriété, en tout ou en partie, en employant les procédés appropriés à la reproduction de chaque catégorie d'ouvrages,... " stipule l'article 23 du décret de 1968. Ce qui signifie qu'aucun producteur ne peut exploiter une œuvre audiovisuelle sans avoir préalablement acheté les droits. Car la mise en circulation d'un film, d'un documentaire, d'une série télévisée et d'autres œuvres du même type suppose au moins les actes de reproduction et de représentation qui ne peuvent être exercé qu'exclusivement par les auteurs. Si c'est une opération qui vise une œuvre de pure imagination, le producteur doit se faire céder les droits de tous les auteurs qui ont participé à sa création. Si c'est un livre porté à l'écran, le producteur doit non seulement acheté les droits sur l'ouvrage, mais aussi les droits d'adaptation audiovisuelle car selon l'article 12 de la Convention de Berne " les auteurs d'œuvres littéraires ou artistiques jouissent du droit exclusif d'autoriser les adaptations, arrangements et autres transformations de leurs œuvres ".

Outre le respect de la loi, l'acquisition des droits d'auteur, aujourd'hui, est une condition obligatoire11 pour bénéficier du soutien financier des organismes internationaux et des services des multinationales de la distribution. Plusieurs raisons expliquent cela. D'une part, sans achat de droits, l'exploitation d'une œuvre audiovisuelle fait d'un producteur un contrefacteur c'est-à-dire un pirate. Vous pouvez le comprendre, il est difficile pour un financier sérieux d'encourager la violation des droits. D'autre part, la distribution exige l'usage, entre autres, du droit de reproduction pour des raisons de mise à disposition et de promotion. Vous en conviendrez, aucun distributeur professionnel ne souhaite s'engager à distribuer un film, un documentaire ou une vidéo sujet à des problème de contestation de droits. Moralité, le non respect du principe de l'achat des droits interdit l'accès au circuit professionnel.

Cession des droits certes, mais dans les contrats y relatifs doivent être spécifiés tous les modes d'exploitation. Sur cette question la doctrine12 est unanime. Les droits accordés pour une exploitation cinématographique ne valent pas pour la télévision ou la vidéo. Chaque autorisation (les droits vendus) doit être clairement mentionnée dans le contrat. De toute évidence, en matière de droit d'auteur, rien ne doit être laissé au hasard si l'on veut éviter qu'un producteur donne des droits qui ne lui ont pas été vendus. La remarque est d'importance dans la mesure où, pour un média électronique, la diffusion d'une œuvre protégée reste soumise à la législation sur le droit d'auteur, dit l'article 3 du décret du 31 juillet 1986 sur la presse.

Vous le savez autant que moi, en territoire de rakèt la tentation est grande. Pour la contenir, à l'exemple d'autres pays qui ont une longue expérience d'usages légaux du droit d'auteur, la législation doit reconnaître au profit des producteurs la présomption de cession. C'est déjà le cas dans le nouveau projet de loi sur le droit d'auteur et les droits voisins.

En dehors du producteur, les co-auteurs d'une œuvre audiovisuelle peuvent aussi exploiter de manière individuelle leurs apports créateurs propres. Cette exploitation est possible si elle se fait dans un autre genre c'est-à-dire sans possibilité de concurrencer l'œuvre commune.

Durée de protection

Depuis le retour à l'Union de Berne et la signature des ADPIC, Haïti semble se diriger vers une durée de protection plus longue. Au regard de ces instruments internationaux, elle ne peut être inférieure à 50 ans. Pour la calculer, la législation haïtienne propose l'année de décès de l'auteur. Ce qui signifie que pour une œuvre audiovisuelle, il faudra attendre la mort du dernier auteur avant de commencer à compter. "Toutefois, pour les œuvres cinématographiques, les pays de l'Union ont la faculté de prévoir que la durée de la protection expire cinquante ans après que l'œuvre aura été rendue accessible au public avec le consentement de l'auteur, ou qu'à défaut d'un tel événement intervenu dans les cinquante ans à compter de la réalisation d'une telle œuvre, la durée de la protection expire cinquante ans après cette réalisation " (art. 7, alinéa 2).

L'urgence, aujourd'hui, c'est de protéger toutes les créations de l'esprit. Les films, les séries télévisées, les vidéos, les émissions et bien d'autres du même genre en font partie. Le cadre légal existe. Son renforcement amorcé. Ce qui manque, c'est la volonté d'exercer et de défendre ses droits.

__________

1 Lipszyc Délia, Droit d'auteur et droits voisins, Ed. UNESCO, Paris, 1997.

2 Debbasch Charles, Droit de l'audiovisuel, Ed. Dalloz, Paris, 1995.

3 Ibid.

4 Pierre-Yves Gautier, Propriété Littéraire et Artistique, Ed. PUF, Paris, 1996

5 Voir 1) Lipszyc Délia

6 Voir 2) Debbasch Charles

7 Lucas H. J, Lucas, traité de la propriété littéraire et artistique, Ed. Litec, Paris, 1994.

8 Jean-Pierre Garcia, sous l'arbre à palabres, Guide pratique à l'usage des cinéastes africains, Ed. Le film Africain, Paris, 1996.

9 Accord ADPIC.

10 Voir Debbasch Charles.

11 Voir Jean-Pierre Garcia.

12 Voir Lipszyc Délia.

13 Voir Lucas #5, Lucas A.


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Publication web - 30 mai 2002
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