La Protection des uvres
audiovisuelles
On se plaint souvent d'une présence dérisoire de
contenus haïtiens dans la programmation des
différentes télévisions du pays. Et pourtant les
créations audiovisuelles ne manquent pas. Le Projet
Franco-haïtien d'Appui aux Télévisions (PFHAT) en
a financé totalement ou en partie à lui seul 17
dont la Peur d'aimer, Ti Ga Haïti, rêves,
possession, création, folie, Cicatrices II, etc.
Outre le soutien à la création audiovisuelle, le
PFHAT a déjà mis sur pieds près d'une quinzaine de
formations aux métiers de l'audiovisuel. Nul doute
que son action relance l'activité créatrice dans ce
secteur. Le nombre de professionnels augmente. La
production aussi. Cette dynamique marche de paire
avec l'établissement d'un système de droit d'auteur
comme l'a signalé Jérôme Kanapa à l'occasion du
stage sur l'écriture et la réalisation d'une
uvre documentaire organisé par le projet du 9
au 13 juillet 2001. Le débat sur les enjeux y
relatifs n'a laissé indifférent aucun participant.
Certains surpris, d'autres curieux ; pour des
réalisateurs souvent, peu soucieux de leurs droits
d'auteur, le propos a fait mouche. Voilà ce qui
amène a posé le problème de la protection des
uvres audiovisuelles.
uvres audiovisuelles
Les créations audiovisuelles abondent. Nulle part
dans le décret de 1968, on n'en trouve nommément
trace. L'article 11 mentionne dans sa liste de
créations de l'esprit protégeables les uvres
cinématographiques certes, mais s'en contenter,
c'est oublier que l'audiovisuel1 ne s'arrête pas au
cinéma. Les exemples sont multiples. A la télé, il
existe des séries, des feuilletons, des téléfilms,
des récits, des vidéogrammes, etc. Toutes, des
uvres " exprimées par un procédé
analogue à la cinématographie " comme
l'atteste l'article 2.1 de la Convention de Berne. A
ces uvres d'imagination, il faut adjoindre
celles d'information2 aux allures très
télévisuelles. Réalisation technique et
transcription de la réalité diriez-vous en ce qui
concerne ces dernières. Peut-être. Mais la
réalisation d'un programme, d'un documentaire comme
d'un reportage suppose des choix d'images, une mise
en cohérence, un point de vue, des commentaires, une
scénarisation des faits. L'ensemble laisse
transpirer la personnalité de leur concepteur qui
est la touche du réalisateur. Cette part de lui qui
individualise sa réalisation jusqu'à lui donner une
forme personnelle va au-delà d'une simple
reproduction de la réalité. Ainsi, du factuel pur
et simple, on passe à la création. Voilà pourquoi
constituent des uvres audiovisuelles " des
uvres cinématographiques et autres uvres
consistant dans des séquences animées d'images
sonorisées ou non "3. Outre le cinéma et la
télévision, il en existe spécialement conçues
pour la radio4. Ces créations font partie de la
même famille.
Nature
La confection d'une uvre audiovisuelle
mobilise des compétences diverses. Un scénario à
écrire, un dialogue à faire, une musique à
composer, bref une série d'activités créatrices
sollicitant l'apport de différents talents. Chaque
contribution constitue une création en soi.
L'ensemble est coordonné et fusionné pour donner
une uvre commune appelée, dans le système
latin, faute de mieux : uvre de collaboration.
Il s'agit d'une uvre à laquelle ont concouru
plusieurs personnes physiques. Sur sa nature, le
décret de 1968 reste muet.
Conditions de protection
Le décret de 1968 stipule en son article 41 que
" La propriété littéraire, sur une uvre
de l'esprit existe de plein droit, du seul fait de sa
création , indépendamment de toute formalité
". Ainsi, sans être achevée ou divulguée,
l'existence d'une uvre audiovisuelle suffit à
lui faire bénéficier des faveurs de la
législation.
Les articles 14, 15 et 49 relatifs aux uvres
dérivées, aux ouvrages tombés dans le domaine
public, aux lettres massives conditionnent la
protection de ceux-ci à la présence d'originalité.
Ces conditions valent également pour toutes les
uvres de première main nées de l'imagination
de leurs auteurs renchérit la doctrine5. il y va de
même des créations audiovisuelles d'information.
Car " En matière de films documentaires
destinés à l'actualité, Mme Gaudel nous donne une
excellente approche de cette notion d'originalité
dans le domaine visuel. Le travail du créateur
consiste à traduire un fait en images et, les
rapports existant entre la réalisation ainsi
effectuée et ce fait originaire sont comparables à
ceux du " fait brut " et de l'article de
journal qui le commente. Si donc l'enchaînement des
images constitue une relation de cet événement où
apparaît un effort de l'auteur pour en exposer le
déroulement au public dans une composition originale
qui emprunte une forme personnelle reflétant sa
pensée dans l'interprétation qu'il offre des
choses, il y a uvre de l'esprit investie du
droit d'auteur... ".6 Existence et originalité,
voilà les deux critères indispensables.
Auteurs
La création d'une uvre audiovisuelle
suppose la collaboration de plusieurs auteurs. Son
existence implique la fusion des contributions de
chacun. Cette mise en commun d'apports créateurs
relevant des genres différents donne naissance à un
ouvrage commun, indivis sur le tout. Une fois
achevée, la version définitive génère des droits.
Dans le système latin, toutes les législations
s'accordent pour en attribuer la paternité à chacun
des collaborateurs. Nul besoin de s'attarder sur le
mérite et la valeur esthétique. Le droit d'auteur
n'en fait pas cas.
Sur la liste, pour parler des principaux, figure
au moins le scénariste, le dialoguiste, le
compositeur de la musique dans la mesure où celle-ci
est spécialement créée pour l'uvre en
question. Il ne faut surtout pas oublier l'auteur
principal qu'est le réalisateur. S'il s'agit d'un
livre porté à l'écran, l'adaptateur comme
l'écrivain bénéficie aussi du titre d'auteur. Une
uvre, plusieurs auteurs certes, mais à
l'exception du compositeur chacun ne peut exercer ses
droits que sur la version finale.
En matière de création audiovisuelle, la notion
d'auteur est très élastique. Tout technicien7 dont
l'empreinte reste sur la version finale peut y
prétendre. Cependant, d'emblée il faut écarter le
producteur qui, même s'il a eu l'idée originale,
n'en demeure pas moins un investisseur et
négociateur8 de contrats. Son rôle est extrêmement
important, mais ne mobilise aucun apport créateur
propre qui l'y habilitera. Toutefois, rien n'interdit
à un scénariste ou un réalisateur, - Haïti en
fourmille - de cumuler les titres d'auteur et de
producteur. En pareil cas, on est en plein dans
l'auto production.
Autres titulaires de droits
Haïti a signé l'Accord sur les aspects des
Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au
Commerce (ADPIC). Cet instrument qui doit, en ce qui
concerne les pays en voie de développement, entrer
en vigueur le premier janvier 2006,9 a fait sienne,
entre autres, des dispositions de la convention de
Rome. Son application, le moment venu, permettra de
protéger des catégories jusque-là écartées par
le décret de 1968. il s'agit des artistes
interprètes, des organismes de radiodiffusion. Les
premiers pour leurs rôles et prestations. Les
seconds, pour leurs émissions. Ils sont tous
détenteurs de droits voisins sur les uvres
audiovisuelles. Au même titre que ces deux
titulaires, le producteur d'un disque dont une
musique est utilisée dans une uvre
audiovisuelle jouit également de ces mêmes droits.
C'est le cas aussi pour les producteurs de
vidéogrammes10. Droit d'auteur et droits voisins,
cette extension de la protection ne peut que
renforcer le cadre légal national et encourager
l'investissement ainsi que la production dans ce
domaine de création.
Droits sur les uvres
audiovisuelles
Le décret de 1968 protège les uvres
cinématographiques. Haïti en réintégrant la
Convention de Berne étend la protection aux autres
créations de l'esprit du même genre. Du coup, sur
chaque ouvrage audiovisuel, un auteur bénéficie des
droits moraux et patrimoniaux traditionnellement
octroyés aux créateurs. Aujourd'hui la
prolifération de vidéo clubs spécialisés dans la
location d'uvres audiovisuelles montre que la
carrière commerciale de ce type de création ne se
limite pas aux diffusions en salles et à la
télévision. Cette réalité est prise en compte par
les ADPIC que le pays a signé. La disposition y
relative viendra enrichir notre législation d'un
nouveau droit appelé droit de location. Son
introduction comble les lacunes du décret en
vigueur. Comme les autres attributs des droits
patrimoniaux, son utilisation est subordonnée à
l'autorisation expresse des auteurs et des autres
ayants droit.
D'autres droits, dans le cadre de cet accord, sont
reconnus aux organismes de radiodiffusion. Il s'agit
du droit de fixation, de réémission, de
reproduction de fixation et de communication au
public.
L'attribution de ces nouveaux droits est une bonne
chose. Cependant, dans le cas des médias
électroniques est-il moralement correct d'octroyer
des droits pour des contenus utilisant largement des
uvres protégées sans autorisation ?
Exploitations
" Les auteurs ont le droit exclusif, durant
leur vie, de vendre, faire vendre, distribuer,
représenter, traduire ou faire traduire dans un
autre idiome, leurs ouvrages généralement
quelconques, d'en céder la propriété, en tout ou
en partie, en employant les procédés appropriés à
la reproduction de chaque catégorie d'ouvrages,...
" stipule l'article 23 du décret de 1968. Ce
qui signifie qu'aucun producteur ne peut exploiter
une uvre audiovisuelle sans avoir
préalablement acheté les droits. Car la mise en
circulation d'un film, d'un documentaire, d'une
série télévisée et d'autres uvres du même
type suppose au moins les actes de reproduction et de
représentation qui ne peuvent être exercé
qu'exclusivement par les auteurs. Si c'est une
opération qui vise une uvre de pure
imagination, le producteur doit se faire céder les
droits de tous les auteurs qui ont participé à sa
création. Si c'est un livre porté à l'écran, le
producteur doit non seulement acheté les droits sur
l'ouvrage, mais aussi les droits d'adaptation
audiovisuelle car selon l'article 12 de la Convention
de Berne " les auteurs d'uvres
littéraires ou artistiques jouissent du droit
exclusif d'autoriser les adaptations, arrangements et
autres transformations de leurs uvres ".
Outre le respect de la loi, l'acquisition des
droits d'auteur, aujourd'hui, est une condition
obligatoire11 pour bénéficier du soutien financier
des organismes internationaux et des services des
multinationales de la distribution. Plusieurs raisons
expliquent cela. D'une part, sans achat de droits,
l'exploitation d'une uvre audiovisuelle fait
d'un producteur un contrefacteur c'est-à-dire un
pirate. Vous pouvez le comprendre, il est difficile
pour un financier sérieux d'encourager la violation
des droits. D'autre part, la distribution exige
l'usage, entre autres, du droit de reproduction pour
des raisons de mise à disposition et de promotion.
Vous en conviendrez, aucun distributeur professionnel
ne souhaite s'engager à distribuer un film, un
documentaire ou une vidéo sujet à des problème de
contestation de droits. Moralité, le non respect du
principe de l'achat des droits interdit l'accès au
circuit professionnel.
Cession des droits certes, mais dans les contrats
y relatifs doivent être spécifiés tous les modes
d'exploitation. Sur cette question la doctrine12 est
unanime. Les droits accordés pour une exploitation
cinématographique ne valent pas pour la télévision
ou la vidéo. Chaque autorisation (les droits vendus)
doit être clairement mentionnée dans le contrat. De
toute évidence, en matière de droit d'auteur, rien
ne doit être laissé au hasard si l'on veut éviter
qu'un producteur donne des droits qui ne lui ont pas
été vendus. La remarque est d'importance dans la
mesure où, pour un média électronique, la
diffusion d'une uvre protégée reste soumise
à la législation sur le droit d'auteur, dit
l'article 3 du décret du 31 juillet 1986 sur la
presse.
Vous le savez autant que moi, en territoire de
rakèt la tentation est grande. Pour la contenir, à
l'exemple d'autres pays qui ont une longue
expérience d'usages légaux du droit d'auteur, la
législation doit reconnaître au profit des
producteurs la présomption de cession. C'est déjà
le cas dans le nouveau projet de loi sur le droit
d'auteur et les droits voisins.
En dehors du producteur, les co-auteurs d'une
uvre audiovisuelle peuvent aussi exploiter de
manière individuelle leurs apports créateurs
propres. Cette exploitation est possible si elle se
fait dans un autre genre c'est-à-dire sans
possibilité de concurrencer l'uvre commune.
Durée de protection
Depuis le retour à l'Union de Berne et la
signature des ADPIC, Haïti semble se diriger vers
une durée de protection plus longue. Au regard de
ces instruments internationaux, elle ne peut être
inférieure à 50 ans. Pour la calculer, la
législation haïtienne propose l'année de décès
de l'auteur. Ce qui signifie que pour une uvre
audiovisuelle, il faudra attendre la mort du dernier
auteur avant de commencer à compter.
"Toutefois, pour les uvres
cinématographiques, les pays de l'Union ont la
faculté de prévoir que la durée de la protection
expire cinquante ans après que l'uvre aura
été rendue accessible au public avec le
consentement de l'auteur, ou qu'à défaut d'un tel
événement intervenu dans les cinquante ans à
compter de la réalisation d'une telle uvre, la
durée de la protection expire cinquante ans après
cette réalisation " (art. 7, alinéa 2).
L'urgence, aujourd'hui, c'est de protéger toutes
les créations de l'esprit. Les films, les séries
télévisées, les vidéos, les émissions et bien
d'autres du même genre en font partie. Le cadre
légal existe. Son renforcement amorcé. Ce qui
manque, c'est la volonté d'exercer et de défendre
ses droits.
__________
1 Lipszyc Délia, Droit d'auteur et droits
voisins, Ed. UNESCO, Paris, 1997.
2 Debbasch Charles, Droit de l'audiovisuel, Ed.
Dalloz, Paris, 1995.
3 Ibid.
4 Pierre-Yves Gautier, Propriété Littéraire et
Artistique, Ed. PUF, Paris, 1996
5 Voir 1) Lipszyc Délia
6 Voir 2) Debbasch Charles
7 Lucas H. J, Lucas, traité de la propriété
littéraire et artistique, Ed. Litec, Paris, 1994.
8 Jean-Pierre Garcia, sous l'arbre à palabres,
Guide pratique à l'usage des cinéastes africains,
Ed. Le film Africain, Paris, 1996.
9 Accord ADPIC.
10 Voir Debbasch Charles.
11 Voir Jean-Pierre Garcia.
12 Voir Lipszyc Délia.
13 Voir Lucas #5, Lucas A.