Propriété littéraire en Haïti:
plus d'un siècle de législation
Les romans, les lettres, les discours, les
manuels, bref, créations littéraires, textes
scientifiques ou autres ; les écrits en tous genres
sont protégés par la loi. A leur auteur, ils
donnent des droits. A leurs utilisateurs et
exploitants, ils imposent des obligations. La
législation y relative a déjà 138 ans. Cependant,
aujourd'hui encore, la grande majorité des auteurs
ignorent qu'ils ont des droits. Certains sont
incapables de les faire valoir. D'autres n'en ont
cure. Ils en résulte un développement de la
production des publications sans grand souci du
respect des propriétés littéraires. Paradoxe
certes, mais au moment où tout promet un bel avenir
au livre haïtien, la présentation de l'état de la
protection littéraire en Haïti est plus
qu'opportune.
Nature de la législation haïtienne
La première loi sur le droit d'auteur date de
1864. Salomon a publié une deuxième en 1885.
Inspirées de la théorie du droit de propriété,
ces deux lois ne reconnaissaient que les droits
financiers. En 1968, un décret est promulgué. Son
article 4 stipule : " ...les droits subjectifs
établis par rapport à l'ensemble des droits
subjectifs établis par rapport à l'ensemble des
valeurs plus ou moins ressortissant à une même
personne se divisant en droit patrimoniaux et
extrapatrimoniaux". Ce dernier " faisant
partie des attributs de la personnalité, ce droit
moral ou extrapatrimonial, non susceptible
d'évaluation pécuniaire, demeure intangible et
inaliénable et incessible ". ainsi, de la
théorie de la propriété à celle de la
personnalité, Haïti s'est dotée d'une législation
hybride.
Objet de la législation haïtienne
Les lois du pays protègent les créations de
forme originale. D'une part, leur protection vise un
ouvrage original préexistant à toute autre
création dans un même genre. C'est le cas par
exemple d'un type de roman,d'un recueil de poèmes ou
de nouvelles publiés pour la première fois. D'autre
part, elle bénéficie également à une oeuvre
reprenant un livre déjà publié comme l'illustrent
la traduction, la parodie, le pastiche. Outre les
ouvrages littéraires proprement dits, le décret de
1968, à l'opposé des lois précédentes protège
aussi les écrits pourvus d'une originalité même
minimale tels que les articles d'actualité, les
brochures, les manuscrits, les textes de conférence,
les discours, les sermons, les leçons, les textes de
chanson. Cette expansion de la protection bénéficie
également aux écrits épistolaires. En effet, le
décret de 1968 attribue aux lettres la qualité
d'uvre dans la mesure où leur expression offre
un cachet personnel qui les lie à leur auteur.
Voilà pourquoi " lorsqu'elles présentent un
caractère original, les lettres missives
c'est-à-dire les écrits qu'une personne adresse à
une autre et qui constituent la correspondance
échangée entre elles jouissent, elles aussi de la
protection littéraire " lit-on à l'article 49.
Le décret de 1968 en protégeant les seules
uvres originales participe de la création d'un
cadre propice au développement de la diversité dans
la production littéraire. Il incite surtout au
dépassement de soi et encourage chaque auteur à
être lui-même dans ses écrits. Ainsi, au-delà du
respect des droits d'auteur sur les livres
légalement publiés, l'application du texte en
vigueur favorisera l'enrichissement du patrimoine
littéraire haïtien. Et du coup, mettra en relief le
rôle culturel du droit d'auteur.
Conditions de protection
Avant la promulgation du décret de 1968, la
protection d'un ouvrage littéraire était liée à
une formalité administrative. En effet, selon
l'article 7 de la loi de 1864, " tout individu
qui mettra au monde un ouvrage de littérature, ...,
sera obligé d'en déposer deux exemplaires à la
Secrétairerie d'Etat de l'Intérieur, faute de quoi,
il ne pourra être admis en justice pour la poursuite
de contrefacteur ". La loi de 1885 est allé
encore plus loin. Non seulement elle interdisait de
poursuivre les contrefacteurs, mais aussi faisait
perdre les droits d'exploitation à l'auteur qui ne
s'en était pas exécuté . Le décret de 1968, par
contre, même s'il rend obligatoire le dépôt
légal, ne conditionne nullement la protection à une
démarche administrative. Un tort est réparé.
Depuis " la propriété littéraire sur une
oeuvre de l'esprit existe de plein droit du seul fait
de sa création, indépendamment de toute formalité
administrative " dit l'article 41.
Contenu de la législation haïtienne
Les deux premières lois reconnaissaient
uniquement les droits financiers. Il s'agit des
droits de reproduction et de représentation. Le
décret de 1968 protège aussi ces mêmes droits.
Aucun de ces textes n'a fait mention du droit de
suite, ni n'a tenu compte du droit de copie. S'il
faut considérer la valeur économique et patrimonial
que peut avoir un manuscrit aujourd'hui ou des effets
néfastes du photocopillage sur la carrière
commerciale d'un ouvrage original ou sur l'incitation
à l'investissement dans le marché du livre, on
comprendra le manque à gagner que ces absences
représenteraient s'il y avait un respect réel des
droits. Outre les droits économiques, le décret de
1968, en ce qui concerne le droit moral, a comblé
les lacunes des lois précédentes. Il reconnait les
droits de divulgation, de paternité et d'intégrité
; mais reste muet sur celui de retrait ou de
repentir. Ce qui fait qu'un écrivain juridiquement
n'est pas habilité à sortir un livre de la
circulation pour le remanier ou le renier tout
simplement.
Durée de protection
Les lois de 1864 et de 1885 prévoyaient une
protection qui se prologeait jusqu'à 20 ans après
la mort d'un écrivain. Le décret de 1968, en son
article 24, dispose qu'" à la mort d'un auteur,
les mêmes prérogatives passent à ses héritiers
qui en bénéficient, comme titulaires de ses droits
patrimoniaux pendant 25 ans... ". Augmentation
de la durée de protection certes, mais le texte en
vigueur ne tient pas compte d'un ensemble de facteurs
qui font varier la durée de protection tels que le
type d'uvre et le type d'édition. Ce qui
signifie que, pour prendre quelques exemples, le
calcul de la durée de protection pour un ouvrage
ayant plusieurs auteurs diffère de celui d'un livre
ayant un seul auteur. La même réalité vaut
également pour les uvres collectives dont les
auteurs sont, en général, des personnes morales
c'est-à-dire des entreprises. Haïti a réintégré
la Convention de Berne en 1995 et signé l'Accord sur
les ADPIC. Ces deux instruments internationaux fixent
la durée de protection à un minimum de 50 ans
après la mort d'un auteur. L'application de ces
textes, ne serait-ce que pour des questions
d'harmonisation, commande de ne pas négliger le
rôle du droit international dans la détermination
de la durée de protection.
Bénéficiaires ou titulaires
Tous les auteurs de texte. Leurs ayants droit
aussi. Car à la mort d'un auteur, ses héritiers
deviennent propriétaires de ses droits patrimoniaux
pendant toute le durée de protection. Si un individu
peut jouir de la qualité d'auteur. En ce qui
concerne les personnes morales, rien. Ni les
premières lois, ni le décret de 1968 n'accordent le
titre d'auteur à une entreprise ou une institution
sur une uvre collective telle un dictionnaire
ou une encyclopédie comme l'a établi la doctrine
depuis longtemps.
Exploitation
En matière de droit d'auteur, toute exploitation
d'uvres protégées doit faire l'objet de
contrats. Ainsi, publier un livre, l'adapter, le
reproduire requièrent une autorisation formelle de
l'auteur ou du propriétaire des droits. Tous les
textes de la législation haïtienne énoncent ce
principe. Cependant, on n'y trouve aucune disposition
relative aux contrats. Rien sur la rémunération et
les obligations des parties. Le silence du cadre
légal semble référer aux usages de la profession.
Or le contrat à compte d'auteur si prisé dans le
secteur de l'édition ne consacre aucun transfert de
droits sur une uvre littéraire. Il en résulte
un développement des pratiques informelles au
détriment du respect des propriétés littéraires.
Puisque le recours aux règles du droit d'auteur
n'entre pas dans les habitudes, les uns ignorent
leurs droits ; les autres, leurs obligations. Cette
situation a des conséquences fâcheuses sur la
production littéraire. L'exploitation publique ou
commerciale d'un ouvrage ne procure aucun droit. Le
constat est édifiant. Le livre ne nourrit pas, les
écrivains sont obligés d'avoir une autre activité
qui, dans la majorité des cas, finit toujours par
l'emporter. Dans un tel contexte, la production
littéraire souffre d'une déperdition chronique. Il
émerge de nombreux nouveaux auteurs certes, mais,
pour la grande majorité, leur bibliographie - quand
ils n'abandonnent pas- dépasse rarement un livre.
Pour les éditeurs, la situation n'est pas meilleure.
D'une part, leurs collections s'enrichissent
difficilement. D' autre part, l'absence de contrats
pour la publication des livres de leur catalogue
réduit à néant, au niveau local, leur capacité
d'exercer et de défendre les droits dont ils
pourraient être propriétaires ; au niveau
international, la pénétration des marchés comme
l'atteste le dernier rapport de France Edition
chiffrant à 0% le taux d'exportation des livres
haïtiens vers l'Hexagone.
Gestion collective Appliquer la législation sur
le droit d' auteur dans un contexte où le livre peut
être partout et son auteur en un seul endroit
relève de l'exploit. Cette réalité met à mal la
capacité d'exercice individuel des droits. Outre
l'ubiquité dont il jouit, un livre qui marche
s'expose à des exploitations multiples comme les
adaptations, reproductions, rééditions, etc.
Succès certes, mais impossiblité pour son auteur de
contrôler les nombreuses utilisations éventuelles,
difficultés pour les exploitants respectueux de la
loi de le dénicher à temps pour obtenir les
autorisations légales nécessaires, position de
faiblesse de celui-ci dans les négociations avec les
utilisateurs. Pour palier ces déficits, dès
l'instant où l'invention technologique fait de toute
création de l'esprit un produit commercial, la
doctrine a démontré la nécessité d'instaurer la
gestion collective. Ce qui doit conduire à la
création d'un organisme chargé de la gestion des
droits d'auteur avec pour mission principale la
perception des droits et leur répartition aux
auteurs et propriétaires des droits sur les ouvrages
protégés. Cette institution n'ayant pas été
prévue dans la législation haïtienne, on en vient
à la situation aberrante où un écrivain a des
droits qu'il ne peut exercer depuis 137 ans. Et ses
livres livrés à l'exploitation illégale dans
l'indifférence générale.
Sanctions
Le développement technologique expose
aujourd'hui, chaque livre à une consommation
massive. Plus qu'une uvre, le livre devient un
produit. Limité à un tirage moyen de 1000
exemplaires , sa mise en marché ne tient pas compte
du lectorat potentiel composé de la population
scolaire avoisinant le demi million, du corps
enseignant, des lettrés encore en âge de pratiquer
la lecture, des 65% de jeunes représentant 5200000
lecteurs potentiels. Les données le prouvent bien.
La démocratisation de l'école augmente
considérablement le nombre de lecteurs. Celui des
productions littéraires aussi. Car le nombre de
livres publiés en Haïti est égal à la quantité
d'ouvrages édités dans l'ensemble de l'Afrique
francophone. Quant aux potentialités commerciales du
produit livre, Livre Itinérant et Livre en Folie le
montrent bien. Le marché du livre existe.
Malheureusement les éditeurs ne suivent pas encore.
En-dehors des Editions Hachette-Deschamps qui, pour
leurs collections jeunesse, pratiquent un tirage
allant de 6000 à 10 000 exemplaires, les autres
éditeurs s'attèlent à un chiffre fétiche : 1000
volumes par publication. Dans un tel contexte,
l'offre est inférieure à la demande, la
disponibilité, réduite à une peau de chagrin et le
marché du livre, livré aux pirates. Une telle
situation ne peut qu'hypothéquer l'avenir de jeunes
structures comme les Editions Mémoire. Les amendes
prévues par le décret de 1968 pour sanctionner la
piraterie et la contrefaçon oscillent entre 16 et 80
gourdes. Rien de dissuasif pour empêcher les
utilisation non conformes aux dispositions de la
législation haïtienne et combattre efficacement la
reproduction illégale de livres protégés, le
commerce illicite d'ouvrages légalement fabriqués,
l'importation et l'exportation de bouquins en
violation parfaite du droit d'auteur. Ces sanctions
au rabais non seulement encouragent la violation du
droit d'auteur, mais surtout ruinent, pour les
éditeurs, la possibilité de développer des
éditions, des collections, bref la production
littéraire ; de mettre en place des stratégies
susceptibles de favoriser l'essor de ce secteur des
industries culturelles appelées, aujourd'hui,
industries du droit d'auteur.
Droits, cadre d'exercice, sanctions
la protection sur la propriété littéraire
existe depuis belle lurette certes, mais demeure
inadéquate. Bientôt une nouvelle loi remplacera le
décret de 1968 encore en vigueur comme l'a annoncé
le nouveau ministre de la Culturte et de la
Communication, monsieur Guy PAUL. Le Bureau Haïtien
du Droit d'Auteur a déjà fait une proposition de
texte. Sous peu, ce projet de loi sur le droit
d'auteur et les droits voisins sera déposé au
parlement. Renforcement de la protection du droit
d'auteur, protection du folklore et des traditions,
conformité avec la réalité moderne de production
et d'exploitation ainsi qu'avec les conventions et
traités internationaux. Telle est en substance la
teneur. Une hirondelle ne fait pas le printemps
certes, mais s'il faut donner au droit d'auteur une
protection égale à son rôle économique et
culturel, l'engagement de l'Etat doit être sans
équivoque comme l'attestent les nombreux séminaires
sur la propriété intellectuelle, l'inauguration du
Bureau Haïtien du Droit d'Auteur, la réintégration
de la Convention de Berne, la signature de l' Accord
sur les Aspects Propriétés Intellectuelles qui
touchent au Commerce (ADPIC) et les nombreux autres
engagements internationaux relatifs à la protection
des propriétés littéraires et artistiques.