Willems Edouard - Haiti : Droit d'auteur et propriété intellectuelle

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Droits d'auteur et protection des œuvres musicales

Le décret du 9 janvier 1968, en son article 11, cite, parmi les œuvres protégées, " les compositions musicales avec ou sans paroles ". Cette protection légale crée des droits que l'auteur d'un morceau doit pouvoir exercer et défendre. Blablabla diriez-vous. Pas si vite, lisez avec moi.

Conditions de protection

L'article 41 du décret de 1968 dit que " la propriété littéraire (j'ajoute et artistique) sur une œuvre de l'esprit existe de plein droit du seul fait de sa création, indépendamment de toute formalité administrative ". En clair, l'existence d'une musique suffit à lui assurer la protection de la loi. A cette première condition, il faut adjoindre une deuxième essentielle et obligatoire ; l'originalité. En matière musicale, l'originalité se manifeste dans la mélodie, l'harmonie et le rythme. L'auteur, pour faire œuvre originale, peut affirmer sa personnalité dans l'ensemble ou dans l'un des trois. La mélodie est l'air que l'on fredonne. Elle reflète la sensibilité de l'auteur et revêt un caractère personnel qui la singularise. Trouver un thème ne suffit pas. Il faut des accords pour l'accompagner. Ces accords se jouent suivant un ordre déterminé choisi par l'auteur. Cela crée l'harmonie. Le tout s'interprète dans un rythme ou une combinaison de rythmes. Le rythme en tant que tel est impossible d'appropriation du fait qu'il est en général tiré d'un autre préexistant, mais par contre, son mode d'exécution peut porter la marque de l'auteur. En cela, il crée une variété qui enrichit le style comme l'on fait Nemours, Sicot et Roi Coupé. Donc, protéger une œuvre musicale, c'est identifier en recourant à l'un de ces trois éléments constitutifs en quoi elle se différencie des autres pour surgir comme une forme nouvelle. L'originalité d'un morceau peut également se trouver dans son titre. Voilà pourquoi l'article 47 du décret de 1968 interdit à un auteur de donner, sans autorisation expresse du premier auteur, un titre protégé à sa nouvelle composition. Ce qui signifie que deux chansons de deux compositeurs différents ne peuvent avoir le même titre.

Nature d'une œuvre musicale

On peut composer dans la solitude de sa chambre comme on peut faire appel à d'autres talents. Cela crée différentes catégories d'œuvres musicales. Chacune détermine l'attribution du titre d'auteur.

Œuvre simple

Syto Cavé a écrit le texte de " Lapèsonn " et composé la mélodie. Ayant tout créé tout seul, son travail établit la relation suivante : un auteur, une œuvre Il est donc l'unique auteur-compositeur de sa chanson. Sa composition constitue une œuvre simple. Mais tous les morceaux que vous écoutez ou utilisez n'ont pas qu'un seul auteur

Œuvre complexe

Il existe des chansons dont la composition nécessite l'utilisation des talents de plusieurs auteurs. C'est le cas de " Choucoune ". Owswald Durand fait le texte, Moléard Monton compose la musique. Pour " Chat Fifi ", par contre, la situation est différente raconte Boulot. Les auteurs compositeurs Toto Laraque et Boulot Valcourt ont tout fait ensemble. Leurs contributions pour la confection des paroles et de la mélodie se fusionnent à un point tel qu'on ne peut les séparer. Mais dans les deux cas, leur musique est une œuvre de collaboration. Quand la contribution des collaborateurs est distincte, pourvu qu'elle ne nuise pas à la carrière de l'œuvre commune, on peut envisager une exploitation séparée de l'apport de chacun. Le compositeur sort sur disque, C.D ou cassette la version instrumentale de la chanson. Le parolier publie le texte. Si les apports se fondent l'un dans l'autre comme l'illustre " Chat Fifi ", l'œuvre de collaboration est une propriété indivise qui ne peut être utilisée qu'avec l'accord mutuel des deux musiciens. Une chanson nouvelle peut en cacher d'autres. " Ede m' chante " de Boukan Ginen rappelle un air traditionnel. Le piano d'Eddy Prophète, dans " Katso ", transpire le folklore. La touche harmonique d'Amos Coulange a redonne peau neuve à " Nan fon bwa ". Pierre Rigaud Chery, de manière magistrale, a marqué de son empreinte les compositions de Ti-Paris et de bien d'autres gloires du patrimoine musical local. Toutes ces nouvelles versions sont réalisées san la collaboration du premier auteur. Elles constituent des œuvres composites. Récemment l'adaptation troubadour de quelques succès du Compas montre le caractère créatif des arrangement de Fabrice Rouzier. Inspirés du folklore ou d'autres musiques contemporaines, ces morceaux sont des œuvres dérivées qui, selon le cas, porte le nom d'œuvre de collaboration ou composite. Dans un cas comme dans l'autre, leur confection fait appel à plus d'un talent. Ainsi, partagent leur propriété, l'auteur de la version originale ainsi que le ou les créateur(s) de la forme nouvelle. Certaines musiques naissent dans la foulée d'une répétition. Si tout le monde y a contribué sans qu'on soit en mesure d'identifier l'apport de tel ou tel musicien, on est en présence d'une œuvre de collaboration dont tout le groupe est propriétaire. D'autres naissent plutôt dans le ventre d'une machine sous le contrôle d'un ou de plusieurs musicien(s). Voilà pourquoi en son article 14 le décret dispose que " les traductions, adaptations, compilations, arrangements, ou autres versions d'œuvres littéraires ...et artistiques... jouissent de la protection du présent décret comme œuvres originales sans préjudice des droits de l'auteur sur l'œuvre utilisée ".

Auteur (s) d'une œuvre musicale

Le décret de 1968 sur la propriété littéraire et artistique ne définit pas la qualité d'auteur. Il dit en son article 19 que " Le droit à la paternité sur une œuvre artistique ou littéraire, est le droit qu'a l'auteur de la publier sous son nom... ". Insuffisant, l'emploi du singulier. En effet, si cet extrait traduit le rapport un auteur, une œuvre ; Il ne tient pas compte du fait qu'une œuvre musicale peut avoir plusieurs auteurs. Déjà, outre le cas du parolier et du compositeur qui peuvent être tous les deux coauteurs de leur chanson, d'autres exemples permettent comme l'atteste l'article 14, pour une même musique, d'attribuer le titre d'auteur à plus d'un créateur. Ainsi, l'improvisation d'un solo original dans une composition lors de son enregistrement en studio transforme le soliste, même s'il ne l'a pas lui-même créée, en coauteur de la musique. De même, un arrangeur qui marque de son empreinte les morceaux qu'il a retravaillés est aussi auteur au même titre que le compositeur principal. Le même raisonnement vaut également pour le travail du DJ qui, par ses remix, relook totalement une chanson préexistante. De ce fait, une œuvre musicale a autant d'auteurs qu'il existe de créateurs ayant contribué de manière pertinente à sa réalisation.

Droits sur une œuvre musicale L'article 4 du décret de 1968 précise que " ...les droits subjectifs établis par rapport à l'ensemble des valeurs, positives ou négatives ressortissant à une même personne se divisant en droits patrimoniaux et extrapatrimoniaux...".

Droits patrimoniaux

La législation haïtienne reconnaît à tout auteur d'une œuvre des droits exclusifs dont l'exploitation légale rapporte de l'argent à son titulaire. Ce sont les droits patrimoniaux divisés en droits de reproduction et en droits de représentation. Ces droits restent la propriété de l'auteur d'une œuvre musicale toute sa vie et 25 ans après sa mort (décret 1968, art. 24). Une chanson peut être communiquée sous plusieurs formes :partitions, enregistrement sonore c'est-à-dire bande magnétique, cassette, disque, C.D, etc. Le public la découvre également en écoutant la radio, en utilisant le téléphone, en surfant sur le net. Ces accès indirects à la musique mobilisent les droits de reproduction (décret 1968, art. 10). Les compositions font aussi objet de bals, concerts, clips, retransmissions en direct radio/télé, etc. Elles animent les discothèques, les restaurants, les journées récréatives, les fêtes champêtres et bien d'autres manifestations au cours desquelles il y a diffusion en présence d'un public. Ainsi, entre en jeu les droits de représentation ( décret 1968, art.10). Droits de reproduction, droits de représentation ; ces droits économiques permettent à un auteur compositeur de gagner de l'argent en cédant pour un temps ses droits en vue de favoriser l'utilisation légale de sa musique. Voilà pourquoi la loi exige de tout exploitant comme les producteurs de phonogrammes, les producteurs de clips, les entreprises de communication audiovisuelle et bien d'autres qu'ils demandent, avant d'utiliser une composition musicale, l'autorisation écrite de l'auteur compositeur ou de son représentant.

Droit extrapatrimonial ou droit moral

Une chanson transpire la personnalité de son auteur. Les deux se confondent et forment une seule et même entité inséparable. Cette filiation crée un ensemble de droits exclusifs qui ne peuvent être vendus ou saisis. Le droit moral ne rapporte pas certes, mais permet à l'auteur d'un morceau de ne pas s'en faire déposséder. Voilà pourquoi seul l'auteur a le droit de publier sa musique (art.7), de lui donner son nom (art.7), de la transformer (art.9). Droit de divulgation, droit de paternité, droit de transformation, voilà les attributs du droit moral consacrés par le décret de 1968. Malheureusement, le droit de repentir n'est pas dans la liste.

Comme vous l'avez constaté, en attendant la reconnaissance des droits voisins, la musique est belle et bien protégée. Son utilisation dans un disque, un spectacle ou pour animer un lieu est subordonnée à la signature d'un contrat que doit illustrer l'autorisation écrite de l'auteur ou celle de son représentant (art.10). En dehors, il y a, d'une part, des risques de violations, poursuites, et sanctions ; d'autre part, règne de l'informel, marché non sécurisé et anéantissement des chances de développement de l'industrie musicale.


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Publication web - 30 mai 2002
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Gotson Pierre
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