Le titre d'auteur et le décret de
1968
Les législations latines, dans leur grande
majorité, définissent la notion d'auteur. Sa
présence dans leurs dispositions répond au souci de
lever les ambiguïtés liées à l'attribution du
statut d'auteur. Ces textes de façon prequ'unanyme
informent que cette qualité s'octroie à toute
personne (physique) qui compose une chanson, peint
une toile, écrit un livre, etc. A une personne
morale pour le compte de laquelle des salariés ou
des contractuels créent des uvres. Dans le
décret de 1968, ce n'est que rumeur dans le fouillis
des articles.
En propriété littéraire et artistique est
qualifié d'auteur l'individu sous le nom duquel une
création est publiée et "qui apparaît comme
tel dans l'uvre par la mention de son nom, de
sa signature d'un signe ou de toute autre expression
permettant de l'identifier1." Cette définition
permet d'identifier un auteur certes, mais ensevelit
dans le silence et l'oubli les auteurs anonymes, les
personnes morales auteurs d'uvres collectives
qui, aujourd'hui, de plus en plus s'imposent.
De l'auteur individuel à l'auteur
plural
Au même titre que celui qui crée un ouvrage pour
la première fois, on devient également auteur en
réalisant une uvre nouvelle à partir d'une
création préexistante. Voilà pourquoi un
traducteur jouit de la qualité d'auteur. Un
adaptateur aussi. Cette attribution signifie que l'un
et l'autre ont fait uvre de création à leur
manière de restituer le sens, leur souci d'utiliser
un style propre, une liberté d'expression
susceptibles de mettre en valeur leur touche
personnelle. C'est pourquoi les uvres traduites
ou adaptées diffèrent des originales dont elles
dérivent.
L'exercice d'activités créatrices permet à des
êtres humains de recevoir le titre d'auteur,
cependant la participation à la réalisation d'une
uvre ne conditionne en rien l'accès au statut
d'auteur. Ainsi, pour les uvres de
collaboration, il n'est pas imprudent de n'accorder
que la présomption de la qualité d'auteur. Aussi
importe-t-il de prouver que la part de chaque
participant constitue un acte de création
intellectuelle. L'audiovisuel connaît un regain
d'activités depuis l'établissement du Projet
Franco-haïtien d'Appui aux Télévisions. La
confection d'une uvre audiovisuelle exige
l'apport créateur de plusieurs contributeurs.
Cependant même si certaines législations comme la
loi française par exemple consacre, aux côtés de
l'auteur principal qu'est le réalisateur, la
qualité de coauteur au scénariste, au dialoguiste,
au metteur en scène, au compositeur de la musique,
etc. Rien ne dit que tout collaborateur d'une
uvre audiovisuelle produit une création
intellectuelle. Dans la mesure où cela se constate
ce présumé coauteur ne pourra prétendre à
bénéficier du nom d'auteur.
Le même exemple vaut également pour la mise en
scène d'une uvre dramatique. En effet, outre
les didascalies illustrant les distributions de rôle
et une occupation de l'espace scénique propre à
l'auteur d'une pièce, il y a l'intervention du
metteur en scène qui, par souci de proposer son
interprétation personnelle d'une uvre, offrira
une représentation distincte de l'originale. Sa
griffe personnelle apparaîtra dans les jeux de
scènes, les intonations de la voix, les mouvements
des acteurs, le choix des décors et des costumes et
parfois une redistribution audacieuse des rôles.
Ainsi s'il arrive à montrer qu'il s'est éloigné
des instructions de l'auteur originaire, sa mise en
scène l'habilitera à bénéficier de la qualité
d'auteur. S'il se contente de reprendre le travail
d'un autre, il ne sera pas auteur pour ce travail
là. Ces deux exemples évoqués précédemment
montrent que le titre d'auteur n'est pas toujours
donné d'avance. Prudence d'hommes de loi certes,
mais ne faut-il pas procéder ainsi chez nous pour
éviter d'attribuer arbitrairement à un
collaborateur dont la contribution ne constitue pas
une création intellectuelle une qualification qu'il
ne mérite pas ?
Si le cas de l'auteur des uvres
audiovisuelle et dramatique n'a pas retenu
l'attention de nos législateurs, que dire des
nègres, des personnes interviewées dont les textes
et propos sont publiés. Pourtant leur apports
individuels commandent de ne pas les écarter. Le
premier comme auteur pour interdiction d'aliéner son
droit à la paternité, le second comme coauteur pour
avoir donné la matière essentielle de l'uvre.
Entre la tradition et la modernité
Aujourd'hui, l'importance du patrimoine oral dans
le domaine du droit d'auteur invite à poser le
problème de certaines uvres musicales. Il
s'agit des compositions créées dans les Lakous à
l'occasion des cérémonies vaudouesques. En effet,
lorsqu'un serviteur est chevauché, il est dans un
état second. Il est souvent dans l'impossibilité de
se rappeler ses actes. Cependant, lorsqu'il est en
transe, il parle, exécute des gestes, il lui arrive
même de créer une mélodie. Or la tradition nous
apprend qu'il n'a pas conscience de ses actes. Il ne
fait que répéter ce que lui dicte le mystère.
Donc, c'est l'esprit qui crée à travers lui.
Possédé, il est alors dans l'impossibilité de se
rappeler ses actes. Si celui-ci chante une chanson
totalement nouvelle, qui peut en être l'auteur ? le
loa ? - Non, puisqu'il est une créature
immatérielle. Le chevauché? -Non plus, car il est
étranger à la création. Si la tradition, dans une
pareille circonstance interdit à ce dernier de
s'approprier la qualité d'auteur, à qui revient ce
privilège? Aux tambourineurs qui l'accompagnent? A
la chorale des hounsi pour sa participation? Au Lakou
ou au patriarche selon le vu de la tradition?
Faut-il recourir au droit positif dans un espace où
le droit coutumier règne sans partage? Faut-il en
faire abstraction? Heureusement que la nouvelle loi
sur le droit d'auteur et les droits voisins qui doit
être déposé au parlement très prochainement en
tient compte.
De nos jours, la musique offre aussi un cas
intéressant. Il s'agit de celui du D.J. cet artiste
des temps modernes crée du son en recourant à des
scratches et à des samplings. Il s'exprime en
faisant tourner sur au moins deux platines, des
disques dans l'un ou l'autre sens pour obtenir par
des effets de répétition, d'accélération de
ralentissement, etc. une musique nouvelle.
Compositeur d'un genre nouveau, le disc-jockey fait
des chansons accompagné des rappeurs, joue dans des
formations musicales se produit en spectacle même
créateur d'un autre genre, il réalise aussi des
disques 2. Quand son travail va plus loin que le
simple fait de passer un vinyle, en vertu du principe
de l'originalité minimale en droit d'auteur, il fait
uvre de création. N'est-il pas en droit de
revendiquer la qualité d'auteur?
Nègre metteur en scène monteur personne morale,
Lakou, D.J et tant d'autres la qualité d'auteur
n'arrêtera pas de susciter des débats.
__________
1 Lipszic Della, Droit d'auteur et droits voisins,
Ed. UNESCO, Paris 1997.
2 Kihm Christophe, Evolution n'est pas
révolution, Artpress, no 19 hors série 1998,
pp.16-22.