Willems Edouard - Haiti : Droit d'auteur et propriété intellectuelle

Couverture



Le rôle culturel du droit d'auteur

La culture d'un pays est ce qu'il a de profondément propre. Son renouvellement est fonction de la dynamique de réappropriation qui motive les créations intellectuelle et esthétique. La stimulation de la production d'œuvre comme en témoignent diverses expériences menées dans le monde est tributaire d'un système efficace de protection des propriétés littéraires et artistiques. Là-dessus, tous les avis concordent. Il n'existe pas de cadre propice au développement des créations de l'esprit en dehors d'un régime de propriété intellectuelle. Quand on sait l'apport de la littérature, de la musique, des arts plastiques et de bien d'autres disciplines de création à la culture; protéger les œuvres qui en découlent, c'est protéger la culture. Ainsi, la culture, outre une manière d'être, peut être perçue comme un produit et, au même titre des œuvres qu'elle inspire, bénéficie de la protection du droit d'auteur. Voilà ce qui amène à l'incontournable question du rôle culturel du droit d'auteur.

Droit culturel et droit d'auteur, la filiation

Un constant souci de création, de conservation, de préservation habite l'homme. Son expression engendre un ensemble de pratiques auxquelles on donne le nom d'activités culturelles. Leur importance dans l'organisation sociale commande de recourir à des normes. Il s'agit de réglementer pour régir les rapports de celle-ci entre elles et en conditionner l'accès. Le corps de règles qui y est consacré portent le nom de droit culturel. Ce domaine juridique est constitué, comme le précise Alain RIOU1, du droit patrimonial de la culture, de celui de la création et de la formation culturelles, du mécénat culturel, de la propriété littéraire et artistique. La dernière composante, en tant que régime juridique protégeant les créations de l'esprit, illustre bel et bien l'appartenance du droit d'auteur au droit culturel.

Plus qu'une simple appartenance, le décret de 1968 comme l'ensemble des législations du système latin en adoptant la conception dualiste du droit d'auteur réunit les fonctions essentielles du droit culturel. L'aspect patrimonial qui établit les conditions d'accès aux créations de l'esprit. La composante morale qui vise la préservation de la propriété intellectuelle. Ainsi, l'application de ce texte, en attendant la promulgation de la nouvelle loi sur le droit d'auteur et les droits voisins, adhère d'emblée à une démarche de politique culturelle.

Droit d'auteur et mise à disposition de productions culturelles

Toute œuvre, en dehors des considérations esthétiques, véhicule une pensée, une conception représentatives de valeurs culturelles comme l'illustre le roman paysan dans le domaine littéraire. Qu'une œuvre pérennise, reprenne, renouvelle ou vante une tradition ; cela importe peu. Ce qui compte, c'est de pouvoir faire profiter la société en favorisant l'accès à celle-ci. Cette préoccupation n'a pas laisser indifférents les rédacteurs du décret de 1968 car, comme le souligne cet extrait de l'article 42 " pour tout ouvrage, publié en Haïti, l'auteur ou le titulaire de ce droit, est astreint, avant sa mise en vente à en déposer six exemplaires à la secrétairerie d'Etat de l'Intérieur et de la défense Nationale, à répartir dans les bibliothèques publiques par les soins du chef de ce département... " .

La protection des œuvres crée un monopole au profit de leur auteur. Tant que celui-ci vit, ses œuvre demeurent sa propriété exclusive. A sa mort, " les mêmes prérogatives, passent à ses héritiers qui en bénéficient, comme titulaires de ses droits patrimoniaux pendant vingt-cinq ans, ... après quoi les ouvrages protégés tombent dans le domaine publique ". Du coup, la propriété individuelle devient un bien collectif. Ses ayants droit gardent les attributs moraux certes, mais l'œuvre fait déjà partie du bien commun. Au-delà de la mise à disposition permanente, cet extrait de l'article 24 atteste d'un souci : celui d'enrichir le patrimoine national au profit de la collectivité. En effet, il est des œuvres qui, sans cette disposition, une fois épuisées sur le marché, disparaît à jamais. Elles deviennent introuvables. Elles peuvent se trouver dans des lieux privés certes, mais tout le monde n'y a pas accès. En démocratisant cet accès par le dépôt légal et le domaine public, le droit d'auteur contribue à l'augmentation du fonds du patrimoine culurel.

Droit d'auteur et diversité des œuvres de l'esprit

Le décret de 1968 en vigueur protège les œuvres originales comme l'illustrent les articles 14, 15 et 49. Qu'il s'agisse d'œuvres de première main, d'œuvres dérivées, d'œuvres majeures ou médiocres, d'œuvres totalement innovantes ; l'originalité demeure l'unique critère qui donne accès à la protection. L'application des dispositions y relatives permet d'encourager l'effort personnel, incite au dépassement de soi et fait du droit d'auteur un facteur de renouvellement des créations intellectuelles. Ainsi, être soi-même entretient la diversité qui singularise une oeuvre artistique ou littéraire. Sa protection engendre des droits. Son auteur en jouira la pleine propriété et recueillera les retombées financières. Un tel avantage portera à créer avec le constant souci de ne pas reprendre servilement ce que d'autres auteurs ont déjà fait. Il en résultera une situation favorable au développement de l'esprit créatif. La production culturelle s'en trouvera variée et sa qualité améliorée.

Droit d'auteur et incitation à la création

L'application du cadre légal existant, malgré ses lacunes, en imposant le respect stricte des propriétés littéraires et artistiques contribuera à valoriser, dans le pays, le travail intellectuel. Un peintre, un écrivain, un musicien, bref, un artiste ne sera plus considéré comme un fou, un rêveur, un bon à rien qui emmerde la société, mais un élément clé de la richesse du patrimoine culturel de demain. Comprendre ce rôle de haute importance force à protéger les droits sur les créations de l'esprit.

Le principe du respect du droit d'auteur, une fois encré dans les pratiques professionnelles et dans les mœurs; vivre de son art, en Haïti, ne sera plus considéré comme un rêve impossible. L'exploitation d'une œuvre génèrera des droits. L'auteur qui en est le détenteur verra ses sources de revenu se multiplier. Il ne créera plus au seul profit de ceux qui exploitent son œuvre, mais sera un réel bénéficiaire destiné à recevoir la rémunération proportionnelle à l'utilisation de ses droits. Réalisant enfin qu'il peut vivre de ses droits, celui-ci sera beaucoup plus enclin à s'améliorer, se professionnaliser pour produire davantage.

Ces droits que chaque œuvre protégée procure peuvent se vendent. Leur acquisition poussera celui qui en deviendra propriétaire à militer pour le respect effectif de la propriété littéraire et artistique en vue de protéger son propre investissement. Etant donné que, en dehors des autres utilisations, la valeur des droits d'auteur sur une œuvre est proportionnelle au nombre d'exemplaires vendus dans le commerce, son augmentation marche de paire avec celle du tirage. Ainsi, au lieu des traditionnels 1000 exemplaires si chers aux éditeurs littéraires et producteurs de musique, il convient de tabler sur un volume de production plus en rapport avec la potentialité réelle du marché local. Les données sont là, le marché du livre est estimé à 500 000 lecteurs (source IHSI). Celui du disque à 7 700 000 consommateurs composés 2 500 000 (source www.uscensus.org) expatriés et 5 200 000 jeunes représentant 65% de la population. De ce fait, un système de diffusion capable d'élargir le marché et permettre l'écoulement d'une quantité importante d'œuvres, augmente l'assiette de rémunération des propriétaires de droits. Rien n'interdit de penser que ceux qui auront réussi ne tenteront pas de réinvestir les produits de leurs droits dans le lancement de jeunes auteurs ou artistes, de valeurs confirmées. Ce qui nécessairement favorisera l'émergence de nouveaux talents, l'augmentation de la population artistique et le développement de la production des œuvres de l'esprit.

Droit d'auteur et préservation des œuvres de l'esprit

Droit exclusif, le droit d'auteur attribue à chaque auteur quel qu'il soit un monopole légal sur chacune de ses œuvres. Une telle exclusivité conditionne l'utilisation d'un roman, d'une chanson, d'un tableau, bref de n'importe quelle œuvre à l'autorisation préalable de celui ou celle qui l'a créée. Loin d'interdire l'accès à une œuvre, le droit d'auteur tend plutôt à la préserver en établissant des règles d'utilisation. La numérisation2 d'une chanson, pour prendre un cas très à la mode, entraîne une perte de qualité due à la compression. De même que l'impression d'un tableau sur du papier peut, pour des raisons purement techniques, engendrer des changements qui abolissent le ton, la texture, etc. Ces actes involontaires, même s'ils contribuent à populariser les œuvres en question, n'en demeurent pas moins préjudiciables. Pour réduire à néant les dégâts que d' éventuelles modifications pourraient causer, l'article 9 du décret de 1968, stipule que " si l'auteur consent à laisser publier son œuvre suivant un mode déterminer, elle ne peut l'être que suivant ce mode... ". Cette disposition, au-delà de la protection du droit moral de l'auteur, fait ressortir le souci de sauvegarder, dans une œuvre, ce qui fonde sa valeur esthétique. Voilà pourquoi, personne, en dehors de l'auteur d'une œuvre, n'est habilitée à y porter des changements aussi minime soient-ils.

Droit d'auteur et préservation du patrimoine immatériel

Aujourd'hui, le patrimoine folklorique constitué de récits, de chants, d'œuvres d'arts, de danses et bien d'autres formes d'expression, au même titre des œuvres au goût du jour, fait l'objet d'exploitations multiples. Des motifs sacrés sont intégrés dans d'autres œuvres. Des vèvè sont reproduits à des fins commerciales. Des rites sont utilisés dans un cadre profanateur. Des objets d'une haute valeur patrimoniale sont systématiquement dérobés. De plus en plus, avec le développement technologique, les œuvres folkloriques connaissent le même destin que les créations contemporaines. Les mythes et légendes deviennent des recueils de contes, les chants et musiques sacrés, des hits, les danses, des chorégraphies. Toutes ces œuvres assurent notoriété, droit d'auteur et fortune à leurs usurpateurs aux détriments des lakou et habitations détenteurs de cet héritage collectif. Ces quelques exemples suffisent pour montrer que ce pan du patrimoine national est en proie à une exploitation anarchique au risque de menacer ce qui fait l'identité haïtienne. Sa protection par le droit d'auteur aurait pu être envisagée comme la voie3 semble se dessiner au plan international. Malheureusement aucune disposition du décret de 1968 n'y fait allusion

Droit d'auteur et échanges culturels

Les œuvres comme les hommes ont vocation à circuler. L'émergence des médias transfrontaliers, la banalisation des technologies de diffusion et de reproduction, le développement vertigineux d'Internet et du numérique ne font qu'accentuer cette tendance. La migration des œuvres par le biais des supports, des spectacles, des expositions, des foires, de la diffusion médiatique témoigne d'une ouverture au monde permettant de montrer des talents, des valeurs confirmées, un savoir-faire; bref, un potentiel générateur de capital culturel. Quelque puisse être les facteurs qui influencent cette migration, ce qui importe, ce ne sont pas les barrières qui, de toutes façons, sont appelées à être sautées, mais un cadre juridique efficace capable de vitaliser la créativité et de dynamiser la fluidité des échanges dans le respect réciproque du droit d'auteur.

Devant un tel constat, la protection des auteurs ainsi que celle de leurs œuvres doit être d'emblée envisagée au-delà des frontières. En effet, notre pays a déjà posé une série d'actions tendant à garantir le droit des auteurs nationaux à l'étranger et vice versa. Outre la signature de la Convention Universelle sur le droit d'auteur, le pays a réintégré la Convention de Berne, il a également signé l'Accord sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce (ADPIC).

Il convient de renforcer cette démarche. Pour cela, l'adhésion à la Convention de Rome, à la Convention Phonogramme et aux traités de l'OMPI s'avère obligatoire. L'internationalisation de la protection, non seulement renforcera la législation locale, mais surtout permettra de combattre la production, la distribution, l'importation et l'exportation des produits pirates. De telles mesures exerceront nécessairement un effet attractif. Haïti attirera des auteurs et artistes d'autres cultures qui, sans craindre pour leurs droits, viendront s'y établir. Il naîtra de ce côtoiement de créateurs haïtiens et étrangers une effervescence culturelle propice à un enrichissement réciproque.

Droit d'auteur et promotion culturelle

Favoriser l'exercice effectif du droit des auteurs, des artistes et bien d'autres titulaires suppose l'instauration d'un système de gestion collective. Or depuis des décennies, la prédominance des livres étrangers dans le système scolaire et celle des musiques étrangères dans 70% des programmes des médias électroniques façonne inévitablement le goût du public. Le recours à la gestion collective en garantissant le respect des droits mettra en évidence un paradoxe. La préférence pour les littératures et musiques étrangères draineront la majorité des droits à percevoir au profit des auteurs et artistes d'autres pays. Si l'on veut que la diffusion publique et commerciale, par une meilleure répartition du contenu, fasse un meilleur sort aux œuvres nationales, il importe, pour assurer une plus forte présence des œuvres locales dans les écoles et sur les ondes, d'imposer un quota. Cette présence renforcée conduira certainement à une augmentation de la rémunération proportionnelle au profit des auteurs et artistes haïtiens. Et, au-delà de l'économique, c'est un plus grand accès à ces éléments de la culture haïtienne qui en sera favorisé.

S'il convient d'admettre que le travail intellectuel d'un compositeur, d'un écrivain ,d'un peintre, d'un chorégraphe et de bien d'autres créateurs enrichit le patrimoine culturel au profit de la collectivité. Sa mise en valeur, dans un marché sécurisé, passe par l'instauration d'un système de protection efficace du droit des auteurs et de tous les autres propriétaires de droits sur les œuvres légalement publiées. Le développement culturel du pays est ce prix.

__________

1 Alain RIOU, le droit de la culture et le droit à la culture, Editions ESF, Paris, 1993.

2 Antoine GITTON, MP3, la rupture artistique, Saceml, Paris, 1999.

3 Kama PURI, Préservation et conservation des expressions du folklore, in Bulletin du droit d'auteur, Ed.UNESCO, vol.XXXII, n°4, oct-déc, Prais, 1998.


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Publication web - 30 mai 2002
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