Willems Edouard - Haiti : Droit d'auteur et propriété intellectuelle

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Le Droit Moral du Droit d'Auteur

La vie d'une oeuvre commence dès sa conception dans l'intimité de son auteur. La garder pour sa jouissance personnelle ou la diffuser pour la faire découvrir relève de la volonté de son créateur. Ainsi, selon le cas, écrire, composer, peindre, sculpter, faire une chorégraphie, etc. peuvent constituer un travail intellectuel de pur loisir. Cependant, si interpeller son génie créateur pour son propre plaisir tient de la liberté d'un auteur, l'utilisation d'un texte, d'une chanson, d'un tableau, d'une sculpture, d'une chorégraphie, bref de n'importe quelle oeuvre par autrui n'est pas toujours libre de droit.

Un droit de la personnalité

Créer suppose la décision de mettre sous une forme concrète ou conceptuelle quelque chose que l'on a à l'intérieur de soi. Ce passage du soi intime d'un auteur au monde externe porte le nom d'œuvre. Emanation de la pensée, sa mise en forme implique la prise en compte d'attributs de contenu spirituel qui font de toute création un ouvrage de l'esprit où siège l'âme. Ainsi, plus qu'un objet matériel, une oeuvre est l'expression de cette réalité impalpable individuant la création jusqu'à la confondre avec son auteur.

Pensée, esprit, âme ; l'être humain ne peut y renoncer, ni s'en défaire. L'écrit, la parole, le trait ou le geste qui les expriment leur sont assimilables. S'identifiant avec ses produits intellectuels, un créateur fait corps avec ce qu'il produit. L'un adhère à l'autre. Ainsi, le créateur vit dans son oeuvre. Voilà pourquoi au-delà de l'objet qu'est un livre, une toile, une musique, etc... toute oeuvre déborde son aspect matériel pour couvrir un ensemble de valeurs incorporelles reflétant la personnalité de son créateur. Dérobant au droit réel, elles sont du domaine extrapatrimonial s'apparentent au droit moral.

Faisant partie des attributs de la personnalité, ce droit moral ou extrapatrimonial, non susceptible d'évaluation pécuniaire, demeure intangible et est inaliénable et insaisissable, dit l'article 5 du décret de 1968. Ce droit attaché à la personne de chaque créateur ne peut être l'objet de transaction qui puisse "porter atteinte au privilège hors du commerce, qui lui échet, de conserver la maîtrise de sa pensée et de son oeuvre, (...). Ce droit qui n'appartient qu'à lui seul, est absolu, il est discrétionnaire." C'est bien, si l'on part du principe selon lequel le lien étroit unissant un auteur à son oeuvre ne saurait se rompre sans violer tout ce que représente l'individu créateur. Cependant, proclamer que le droit moral d'un auteur est "absolu" et "discrétionnaire", n'est-ce pas ouvrir une brèche qui le place au-dessus de la loi et alimente le risque d'un usage abusif capable de constituer un frein aux créations collectives, à la diffusion des oeuvres de l'esprit dans la société de l'information et surtout en Haïti où entre autres, le faible pouvoir d'achat, l'analphabétisme rendent de plus en plus difficile l'accès aux oeuvres.

Un droit dénombrable

Créer est le propre d'un auteur. Plus que cela, selon la théorie personnaliste, le créateur se fond dans son oeuvre. Ainsi, publier signifierait livrer son âme, son esprit, sa pensée, bref sa personnalité au monde externe. Cette relation gémellaire nous apprend qu'un oeuvre et son auteur constituent une seule et même réalité et, la mise en circulation d'une création, si l'on doit tenir compte de ce lien inaliénable, peut mettre en jeux la réputation, le prestige, bref tout ce qu'un auteur représente. Les effets nés de ce rapport posent une question d'ordre moral. C'est pourquoi la doctrine, dans le système latin, ne cesse de rappeler que seul celui qui crée peut décider de la mise en circulation de son oeuvre ?

Droit de divulgation

Faire connaître une oeuvre est le droit exclusif de son auteur certes, mais la réalité est tout autre. Toutefois n'ayant pas souvent les moyens personnels d'assurer la diffusion de son oeuvre, un auteur peut autoriser une personne ou une institution à exercer ce droit à sa place. Chez nous la loi du 12 août 1977 en fait allusions, mais réalité juridique qu'on a jamais vu se concrétiser. En effet, que de compositeurs sont surpris de constater que leurs chansons figurent sur des disques compacts ou sur des albums sans qu'ils n'aient été contactés pour donner leur consentement. Un tel acte non seulement viole le droit de reproduction, mais surtout le droit de divulgation qui est de la compétence exclusive de tout auteur comme l'a permis de comprendre la protestation de Lòlò du Boukman Eksperyans lors de la publication de son carnaval " Ti pa ti pa " par une maison de disque. Ainsi, "Tant que l'auteur n'a pas pris la partie de publier son oeuvre, la reproduction, quel qu'en soit le mode, en est strictement prohibée." De plus, que ce soit pour motif de dettes ou d'autres raisons, la loi est formelle : "Nul ne peut contraindre l'écrivain ou l'artiste à livrer sa personnalité intellectuelle ou morale au public." Ces extraits de l'article 7 du décret de 1968 montrent que les rédacteurs de ce texte ont voulu garantir, contre tout usage illégal, le droit de divulgation que seul l'auteur d'une création est habilité à exercer.

Droit à la paternité

Si le droit de divulguer une oeuvre appartient uniquement à un auteur, revendiquer la paternité de son oeuvre relève aussi de sa seule prérogative. Voilà pourquoi chaque création porte le nom de celui qui la conçoit. Il en résulte qu'aucun autre créateur ne peut, dans le but de tromper la foule, s'approprier une oeuvre qu'il n'a pas lui-même réalisée. C'est la défense de ce droit qui a porté les compositeurs Gilbert Bailly et Joseph C. Doré à s'opposer à ce que Jeff Wainwright s'érige en auteur d'un morceau sans titre figurant sur un démo qu'ils lui avaient passé. De même qu'il incombe à un auteur de défendre sa paternité artistique sur une création, il ne doit pas accepter qu'on lui prête la qualité d'auteur pour une oeuvre qu'il n'a pas lui-même crée car il est investi du pouvoir de "poursuivre ceux qui usurpent son nom" en le proclamant auteur d'une oeuvre qui nuirait à sa réputation comme l'illustre la pratique du faux dans le domaine des arts plastiques.

Droit à l'intégrité

Défendre son nom oui, mais aussi celui de sa création, de la forme de celle-ci comme le prescrivent les articles 9, 19, 20 et 21 du décret de 1968 ainsi que l'alinéa 1 de l'article 6 de la Convention de Berne. En consacrant le droit à l'intégrité, le droit d'auteur met en garde contre toute tentative de modifier la forme ou le contenu d'une oeuvre soit pour répondre à des exigences éditoriales, soit pour satisfaire des goûts esthétiques. Ainsi, un producteur, sous prétexte de mettre une composition musicale meilleure, n'a aucunement le droit de remplacer les cuivres par un synthétiseur par exemple, ni un éditeur ou un metteur en scène d'ajouter des passages à une oeuvre littéraire ou dramatique.

Droit de modifier

L'auteur et son oeuvre ne forment qu'un. Un changement peut leur être préjudiciable. De ce fait, l'interdiction évoquée plus haut révèle un souci : permettre à un auteur de s'opposer à ce que son oeuvre soit déformée ou sa pensée altérée, garantir la circulation des créations de l'esprit dans leur forme authentique. Aussi incombe-t-il à tous ceux qui exploitent ou utilisent une oeuvre de veiller au respect de ce droit moral.

S'il est interdit à un utilisateur ou un exploitant de faire des transformations dans une oeuvre, il est reconnu à tout auteur le droit de revoir une création qu'il a déjà divulguée. C'est le cas quand un compositeur, grâce à une nouvelle orchestration et un nouveau arrangement, présente, sous un autre aspect, un morceau ancien.

Droit de repentir ou de retrait

Droit de divulguer, droit à la paternité, droit à l'intégrité; ces attributs du droit moral que la loi haïtienne reconnaît ne couvrent pas tout le champ. Il y a un dernier enseveli dans le silence du texte : il s'agit du droit de repentir ou de retrait.

En effet, un créateur après avoir autorisé, sous contrat, l'exploitation d'une oeuvre, par suite de l'évolution de ses conceptions artistiques, nonobstant les oeuvres d'art plastique, peut décider de sortir de la circulation une création qu'il a préalablement consentie à livrer au public s'il juge que cet ouvrage là est indigne de lui. Toutefois, ce retrait étant préjudiciable à l'investissement de celui ou de celle qui a acheté des droits, ne convient-il pas, à l'exemple des pays qui ont une forte tradition en droit d'auteur, de prévoir des dispositions susceptibles de garantir les intérêts économiques des acquéreurs des droits d'œuvres ?

Des quatre droits évoqués ici, les trois premiers survivent à la mort d'un auteur. Faut-il abandonner leur exercice puisque l'auteur n'est plus ? Non, ils peuvent, d'abord devenir la propriété des héritiers de ce créateur décédé ensuite, tomber dans le domaine public après cinquante ans, suite à la réintégration de la Convention de Berne en 1996. La mission de ces derniers sera de protéger la personnalité de l'auteur défunt contre tout acte qui ferait outrage à la vision artistique du créateur, à sa réputation, à tout le prestige qu'il a eu grâce à son travail de création.

La reconnaissance séculaire du droit moral montre la capacité d'adaptation du droit d'auteur certes, mais la survie de certains droits à la mort d'un auteur pourrait aussi ouvrir la voie à un usage abusif du droit au respect et constituer un frein aux créations contemporaines qui s'en inspireraient. Droit moral, droit perpétuel ; l'auteur peut mourir tranquille. Cependant au cas où un auteur n'aurait pas d'héritiers à qui reviendrait l'exercice de ces droits ? A l'Etat ? A des cessionnaires ? Question auxquelles, un jour ou l'autre, la doctrine ou la jurisprudence devra y répondre.


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Publication web - 30 mai 2002
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Gotson Pierre
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