uvre simple, uvre
complexe: les limites du décret de 1968
Les uvres existent. La loi les protège. Au
préalable, il y a leur qualification. Dans le droit
latin, certaines législations se contentent de
donner, à titre indicatif, une liste, d'autres
combinent énumérations et catégories. Partout un
même souci: offrir une meilleur protection aux
créations.
Aujourd'hui, l'image de l'auteur en quête d'une
idée originale fait de moins en moins recette.
L'image du grand solitaire aussi. On crée à partir
de l'uvre d'autrui, c'est l'essence du rap.
Dans l'audiovisuel, on crée sous la direction d'un
maître d'uvre qu'est le réalisateur. On crée
dans le cadre d'un contrat de travail comme
l'illustre la confection des dictionnaires, des
encyclopédies, des logiciels, etc. La nécessité de
protéger ces uvres commande de les qualifier.
Les années changent. D'autres pratiques de
créations naissent. La propension à utiliser
l'uvre des autres comme matière inaugure
l'ère des ouvrages composites. Outre l'emprunt et
l'adaptation les traductions dans le genre
littéraire, les arrangements dans le genre musical,
les transformations dans les arts plastiques
caractérisent cette classe de créations.
En Haïti, les articles 11 à 14 du décret de
1968 dénombrent une quantité d'uvres
protégeables. Enumération interminable. Mélange
hétéroclite. Cette liste donne une idée du nombre
d'uvres protégeables. Mais rien sur les
classes d'uvres si importante pourtant dans
l'attribution des droits et la détermination de la
durée de protection.
uvre simple
La catégorie uvre simple définit le
rapport un auteur, une uvre. Il s'agit du cas
où un individu donne naissance à une uvre
comme Jacques Roumain a crée "Gouverneurs de la
rosée". Toutes les uvres n'ont pas une
forme concrète. C'est le cas d'un cours que donne un
professeur dans ses activités enseignantes. Les
notes qu'il dicte constitue une uvre orale
Elles portent dans leur composition et expression, la
marque personnelle de l'enseignant. Les copier et les
enregistrer en vue de les publier sans son
consentement est une violation du droit d'auteur. Le
texte de 1968 n'en dit mot. Peut-on laisser sans
protection ce type de création alors que l'article
2.1 de la Convention de Berne lui reconnaît le
statut d'uvre ? Cet exemple qui ne ferme pas la
liste invite, si l'on veut respecter l'esprit de cet
instrument, à une mise à jour la législation
haïtienne.
uvre complexe
les uvres simples ont chacune un seul et
unique auteur. Il en existe dont la réalisation
nécessite le recours à plusieurs talents. Ce sont
les uvres complexes.
uvres composites
En 1984, "Close the door" pousse sur
toutes les fréquences du pays. Ce morceau
réunissant plusieurs compositions d'auteurs
différents a été réalisé sans leur
participation. Chacune des chansons utilisées
conservent leur statut d'uvre autonome. Leur
incorporation dans ce tube de Dadou Pasquet n'enlève
pas à celui-ci le caractère d'uvre nouvelle
puisque cette version compas des musiques R&B et
Rythm Blues reflètent sa personnalité. Il a fait
une uvre composite. Il en est de même de
"Accolade", chanson inaugurant la série
Pot-pourri lancée par Le Bossa Combo. Ce hit aux
allures d'anthologie musicale montre qu'une
uvre peut être la résultante d'un mélange
bien orchestré. Cette tendance à reprendre dans un
même genre une uvre préexistante a eu ses
notes de noblesse dans les nombreux remake qui
jalonnent la production cinématographique.
Rappelez-vous "Trois hommes et un couffin",
film français que les américains ont rebaptisé
"trois hommes et un bébé". uvre
nouvelle certes, mais les droits de l'auteur1 de
l'uvre composite n'aliène en rien ceux du ou
des créateur(s) des oeuvres premières.
Dans le domaine des arts plastiques, au lieu
d'adaptation, on parle de copie2 pour une uvre
dérivée. Cette pratique millénaire a souvent
forcé à confondre imitation et originale.
"L'Assomption de la Vierge 3" toile de
Pérugin et imitée de main de maître par Raphaël
constitue un fameux exemple. Habitude honteuse
certes, mais légale. Protégeant la copie de toute
uvre d'art exécutée à la main, le droit
d'auteur renforce, une fois de plus, l'idée de
l'originalité minimale. Ainsi, le copiste a pour
devoir d'éviter toute exactitude permettant à la
création dérivée de concurrencer l'originale.
Voilà pourquoi dans une affaire célèbre qui tient
lieu d'illustration, Daniel Amar a été acquitté.
Car ses " copies étaient d'une taille réduite
par rapport aux originaux, une mention
"copie" était inscrite au verso, une
signature "Delamarre" était apposée entre
la toile et la peinture, détectable au rayon x et
que la reproduction de la signature du peintre
n'était pas en l'état actuel des textes
sanctionnable4" et en l'espèce " tout
risque de confusion avec l'uvre originale est
écartée puisque le format de la toile
diffère..." Cette réalité là n'est pas une
exclusivité française. Elle est monnaie courante en
Haïti. Malheureusement, elle n'avait pas interpeller
les rédacteurs du décret de 1968. Si l'importance
de ce dernier cas laisse indifférents les hommes de
lois, que dire des créations des Lakou assimilées
souvent à tort à des folkloriques?
uvres de collaboration
Certaines uvres, souvent, implique la
coopération de plusieurs auteurs. Dans le genre
musical, il faut un compositeur pour la musique, un
parolier pour le texte de la chanson, un arrangeur
pour la finition. Associées, ces créations
distinctes deviennent une uvre de
collaboration. Etant dénombrable, chaque apport peut
connaître une exploitation séparée. Ralph Boncy en
a donné l'exemple en publiant dans un recueil5 une
bonne partie des textes de chanson qu'il a écrits.
Cet acte est possible quand les contributions de
chaque auteur est identifiable. Mais dans la mesure
où celles-ci fusionnent jusqu'à se fondre dans
l'uvre commune, aucun des coauteurs ne peut
prétendre vouloir en faire un usage individuel.
C'est le cas de "Gun bless America ", roman
dont la composition dilue l'apport effectif des deux
écrivains. Dans l'audiovisuel, la réalité n'est
pas différente. Le documentaire " Tiga, rêve,
possession, création, folie " financé par le
Projet Franco-haïtien d'Appui aux Télévisions
offre un autre exemple d'uvre de collaboration.
Plusieurs auteur ont contribué à sa création.
Arnold Antonin pour le scénario, le texte parlé et
la réalisation. Turgo Théodat pour la musique. Les
deux en sont auteurs.
Adaptation
En 1964, Tomas Guttierez Alea, sous le titre de
Combite porte " Gouverneur de la rosée "
à l'écran. Son adaptation n'entraîne pas, pour
l'écrivain, la perte de ses droits. Il conserve ses
droits sur son roman et devient aussi auteur de la
version cinématographique. La multiplication de ses
droits n'annule pas ceux du réalisateur, ni ceux des
autres coauteur de l'adaptation. Il s'agit de
l'exploitation de la même uvre. Cependant le
passage d'un genre à un autre montre non seulement
qu'on est en présence de deux créateurs
différents, mais aussi d'uvres tirées de
catégories distinctes. L'une résulte du travail
d'un auteur, l'autre est le produit de l'activité
créatrice de plusieurs. En tenir compte, c'est
éviter que leur confusion pousse à l'arbitraire. A
cette tâche, d'autres législations s'y sont déjà
attelées. Le décret de 1968 n'en a soufflé mot.
uvre collective
La réalisation d'un logiciel, d'une base de
données, d'une encyclopédie est souvent
l'initiative d'un entrepreneur. Ce dernier investit
des sommes colossales. Il cherche à avoir la
maîtrise juridique de ces créations dont il est le
seul à assurer les frais financiers. Aux Etats-Unis
la doctrine des works made for hire lui a déjà
donné gain de cause. En France, le résultat est
analogue. Pourquoi? Parce que la publication de
telles uvres se fait toujours sous le nom de la
personne ou de l'entreprise qui a eu l'idée de leur
création et pris à sa charge leur réalisation et
diffusion. Parce que ces uvres mobilisent un
nombre important d'auteurs salariés ne revendiquant
jamais personnellement leur titre d'auteur. Parce
qu'enfin, une fois l'uvre crée, les apports
restent impossibles à identifier tant ils se fondent
dans l'ensemble. Certaines législations prévoient
une exploitations séparée qui ne concurrence pas la
création collective. Mais que dit le décret de
1968. Rien.
A la lumière de ce qui précède, il est clair
que la qualification joue un rôle important dans
l'attribution des droits d'auteur. Elle influence
également la durée de protection. Si pour une
uvre simple, la détermination de la durée de
protection ne pose aucun problème, mais pour une
uvre complexe, c'est une toute autre affaire.
Selon l'article 24 du décret de 1968 " A la
mort d'un auteur, les mêmes prérogatives, passent
à ses héritiers qui en bénéficient, comme
titulaires de ses droits patrimoniaux pendant
vingt-cinq ans, à compter de son décès...Après
quoi les ouvrages protégés tombent dans le domaine
public ". Mais que dit le texte en ce qui
concerne les uvres ayant plusieurs auteurs ?
Quelle réponse apporte-t-il au cas des personnes
morales propriétaires de droits à titre originaire
sur les uvres collectives ? Rien. Silence
inquiétant.
uvre complexe, le multimédia abolit les
différences qui distinguent les sous-ensembles
évoqués précédemment. Réunissant texte, son,
image sur un même support; ces uvres d'un
autre genre rendent presque caduques les
qualifications distinctives. En tout cas, la
réalité existe. Toute législation protectrice doit
en tenir compte. A côté de la globalisation qui
indique la voie, ces quelques cas montrent que la
notion d'uvre n'est pas immuable. A son
évolution, la loi doit s'adapter.
_________
1 LUCAS.A,LUCAS.H.J, Traité de la propriété
littéraire et artistique, Ed. Litec, Paris, 1994.
2 TOMASINI Nathalie, L'art et la loi, Ed. CEDAT,
Paris, 1999.
3 ibid
4 ibidem
5 BONCY Ralph, Chansons et prétextes, Imprimeur
II, P-au-P, 1988.