Willems Edouard - Haiti : Droit d'auteur et propriété intellectuelle

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Œuvre simple, œuvre complexe: les limites du décret de 1968

Les œuvres existent. La loi les protège. Au préalable, il y a leur qualification. Dans le droit latin, certaines législations se contentent de donner, à titre indicatif, une liste, d'autres combinent énumérations et catégories. Partout un même souci: offrir une meilleur protection aux créations.

Aujourd'hui, l'image de l'auteur en quête d'une idée originale fait de moins en moins recette. L'image du grand solitaire aussi. On crée à partir de l'œuvre d'autrui, c'est l'essence du rap. Dans l'audiovisuel, on crée sous la direction d'un maître d'œuvre qu'est le réalisateur. On crée dans le cadre d'un contrat de travail comme l'illustre la confection des dictionnaires, des encyclopédies, des logiciels, etc. La nécessité de protéger ces œuvres commande de les qualifier. Les années changent. D'autres pratiques de créations naissent. La propension à utiliser l'œuvre des autres comme matière inaugure l'ère des ouvrages composites. Outre l'emprunt et l'adaptation les traductions dans le genre littéraire, les arrangements dans le genre musical, les transformations dans les arts plastiques caractérisent cette classe de créations.

En Haïti, les articles 11 à 14 du décret de 1968 dénombrent une quantité d'œuvres protégeables. Enumération interminable. Mélange hétéroclite. Cette liste donne une idée du nombre d'œuvres protégeables. Mais rien sur les classes d'œuvres si importante pourtant dans l'attribution des droits et la détermination de la durée de protection.

Œuvre simple

La catégorie œuvre simple définit le rapport un auteur, une œuvre. Il s'agit du cas où un individu donne naissance à une œuvre comme Jacques Roumain a crée "Gouverneurs de la rosée". Toutes les œuvres n'ont pas une forme concrète. C'est le cas d'un cours que donne un professeur dans ses activités enseignantes. Les notes qu'il dicte constitue une œuvre orale Elles portent dans leur composition et expression, la marque personnelle de l'enseignant. Les copier et les enregistrer en vue de les publier sans son consentement est une violation du droit d'auteur. Le texte de 1968 n'en dit mot. Peut-on laisser sans protection ce type de création alors que l'article 2.1 de la Convention de Berne lui reconnaît le statut d'œuvre ? Cet exemple qui ne ferme pas la liste invite, si l'on veut respecter l'esprit de cet instrument, à une mise à jour la législation haïtienne.

Œuvre complexe

les œuvres simples ont chacune un seul et unique auteur. Il en existe dont la réalisation nécessite le recours à plusieurs talents. Ce sont les œuvres complexes.

Œuvres composites

En 1984, "Close the door" pousse sur toutes les fréquences du pays. Ce morceau réunissant plusieurs compositions d'auteurs différents a été réalisé sans leur participation. Chacune des chansons utilisées conservent leur statut d'œuvre autonome. Leur incorporation dans ce tube de Dadou Pasquet n'enlève pas à celui-ci le caractère d'œuvre nouvelle puisque cette version compas des musiques R&B et Rythm Blues reflètent sa personnalité. Il a fait une œuvre composite. Il en est de même de "Accolade", chanson inaugurant la série Pot-pourri lancée par Le Bossa Combo. Ce hit aux allures d'anthologie musicale montre qu'une œuvre peut être la résultante d'un mélange bien orchestré. Cette tendance à reprendre dans un même genre une œuvre préexistante a eu ses notes de noblesse dans les nombreux remake qui jalonnent la production cinématographique. Rappelez-vous "Trois hommes et un couffin", film français que les américains ont rebaptisé "trois hommes et un bébé". Œuvre nouvelle certes, mais les droits de l'auteur1 de l'œuvre composite n'aliène en rien ceux du ou des créateur(s) des oeuvres premières.

Dans le domaine des arts plastiques, au lieu d'adaptation, on parle de copie2 pour une œuvre dérivée. Cette pratique millénaire a souvent forcé à confondre imitation et originale. "L'Assomption de la Vierge 3" toile de Pérugin et imitée de main de maître par Raphaël constitue un fameux exemple. Habitude honteuse certes, mais légale. Protégeant la copie de toute œuvre d'art exécutée à la main, le droit d'auteur renforce, une fois de plus, l'idée de l'originalité minimale. Ainsi, le copiste a pour devoir d'éviter toute exactitude permettant à la création dérivée de concurrencer l'originale. Voilà pourquoi dans une affaire célèbre qui tient lieu d'illustration, Daniel Amar a été acquitté. Car ses " copies étaient d'une taille réduite par rapport aux originaux, une mention "copie" était inscrite au verso, une signature "Delamarre" était apposée entre la toile et la peinture, détectable au rayon x et que la reproduction de la signature du peintre n'était pas en l'état actuel des textes sanctionnable4" et en l'espèce " tout risque de confusion avec l'œuvre originale est écartée puisque le format de la toile diffère..." Cette réalité là n'est pas une exclusivité française. Elle est monnaie courante en Haïti. Malheureusement, elle n'avait pas interpeller les rédacteurs du décret de 1968. Si l'importance de ce dernier cas laisse indifférents les hommes de lois, que dire des créations des Lakou assimilées souvent à tort à des folkloriques?

Œuvres de collaboration

Certaines œuvres, souvent, implique la coopération de plusieurs auteurs. Dans le genre musical, il faut un compositeur pour la musique, un parolier pour le texte de la chanson, un arrangeur pour la finition. Associées, ces créations distinctes deviennent une œuvre de collaboration. Etant dénombrable, chaque apport peut connaître une exploitation séparée. Ralph Boncy en a donné l'exemple en publiant dans un recueil5 une bonne partie des textes de chanson qu'il a écrits. Cet acte est possible quand les contributions de chaque auteur est identifiable. Mais dans la mesure où celles-ci fusionnent jusqu'à se fondre dans l'œuvre commune, aucun des coauteurs ne peut prétendre vouloir en faire un usage individuel. C'est le cas de "Gun bless America ", roman dont la composition dilue l'apport effectif des deux écrivains. Dans l'audiovisuel, la réalité n'est pas différente. Le documentaire " Tiga, rêve, possession, création, folie " financé par le Projet Franco-haïtien d'Appui aux Télévisions offre un autre exemple d'œuvre de collaboration. Plusieurs auteur ont contribué à sa création. Arnold Antonin pour le scénario, le texte parlé et la réalisation. Turgo Théodat pour la musique. Les deux en sont auteurs.

Adaptation

En 1964, Tomas Guttierez Alea, sous le titre de Combite porte " Gouverneur de la rosée " à l'écran. Son adaptation n'entraîne pas, pour l'écrivain, la perte de ses droits. Il conserve ses droits sur son roman et devient aussi auteur de la version cinématographique. La multiplication de ses droits n'annule pas ceux du réalisateur, ni ceux des autres coauteur de l'adaptation. Il s'agit de l'exploitation de la même œuvre. Cependant le passage d'un genre à un autre montre non seulement qu'on est en présence de deux créateurs différents, mais aussi d'œuvres tirées de catégories distinctes. L'une résulte du travail d'un auteur, l'autre est le produit de l'activité créatrice de plusieurs. En tenir compte, c'est éviter que leur confusion pousse à l'arbitraire. A cette tâche, d'autres législations s'y sont déjà attelées. Le décret de 1968 n'en a soufflé mot.

Œuvre collective

La réalisation d'un logiciel, d'une base de données, d'une encyclopédie est souvent l'initiative d'un entrepreneur. Ce dernier investit des sommes colossales. Il cherche à avoir la maîtrise juridique de ces créations dont il est le seul à assurer les frais financiers. Aux Etats-Unis la doctrine des works made for hire lui a déjà donné gain de cause. En France, le résultat est analogue. Pourquoi? Parce que la publication de telles œuvres se fait toujours sous le nom de la personne ou de l'entreprise qui a eu l'idée de leur création et pris à sa charge leur réalisation et diffusion. Parce que ces œuvres mobilisent un nombre important d'auteurs salariés ne revendiquant jamais personnellement leur titre d'auteur. Parce qu'enfin, une fois l'œuvre crée, les apports restent impossibles à identifier tant ils se fondent dans l'ensemble. Certaines législations prévoient une exploitations séparée qui ne concurrence pas la création collective. Mais que dit le décret de 1968. Rien.

A la lumière de ce qui précède, il est clair que la qualification joue un rôle important dans l'attribution des droits d'auteur. Elle influence également la durée de protection. Si pour une œuvre simple, la détermination de la durée de protection ne pose aucun problème, mais pour une œuvre complexe, c'est une toute autre affaire. Selon l'article 24 du décret de 1968 " A la mort d'un auteur, les mêmes prérogatives, passent à ses héritiers qui en bénéficient, comme titulaires de ses droits patrimoniaux pendant vingt-cinq ans, à compter de son décès...Après quoi les ouvrages protégés tombent dans le domaine public ". Mais que dit le texte en ce qui concerne les œuvres ayant plusieurs auteurs ? Quelle réponse apporte-t-il au cas des personnes morales propriétaires de droits à titre originaire sur les œuvres collectives ? Rien. Silence inquiétant.

Œuvre complexe, le multimédia abolit les différences qui distinguent les sous-ensembles évoqués précédemment. Réunissant texte, son, image sur un même support; ces œuvres d'un autre genre rendent presque caduques les qualifications distinctives. En tout cas, la réalité existe. Toute législation protectrice doit en tenir compte. A côté de la globalisation qui indique la voie, ces quelques cas montrent que la notion d'œuvre n'est pas immuable. A son évolution, la loi doit s'adapter.

_________

1 LUCAS.A,LUCAS.H.J, Traité de la propriété littéraire et artistique, Ed. Litec, Paris, 1994.

2 TOMASINI Nathalie, L'art et la loi, Ed. CEDAT, Paris, 1999.

3 ibid

4 ibidem

5 BONCY Ralph, Chansons et prétextes, Imprimeur II, P-au-P, 1988.


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