Pourquoi il faut changer le décret de
1968 sur le droit d'auteur ?
La législation haïtienne sur la propriété
littéraire et artistique a 138 ans. La première loi
date de 1864 sous Geffrard. Salomon publie une
seconde en 1885. Le décret du 9 janvier 1968 encore
en vigueur a considérablement vieilli. Bientôt, une
nouvelle loi sur le droit d'auteur et les droits
voisins doit le remplacer. En attendant, les
journées internationales du droit d'auteur et de la
propriété intellectuelle ces 23 et 26 avril offrent
l'occasion d'expliquer pourquoi la protection légale
actuelle est inadéquate.
Protection des uvres et le
décret de 68
L'article 10 donne à titre indicatif une liste
d'uvres protégeables. Les articles 13 et 14
étendent cette protection aux " arts
appliqués, traductions, adaptations, compilations,
arrangements, abrégés, dramatisations, adaptations
photographiques et cinématographiques ".
Toutefois, dans cette longue énumération, si
"et enfin toutes les productions littéraires,
scientifiques ou artistiques, susceptibles d'être
publiées ou reproduites" témoignent du
caractère non limitatif des uvres citées,
rien n'est dit à propos des uvres
audiovisuelles, radiophoniques et multimédia. Aucune
mention des expressions du folklore. Silence total
sur la publicité, les arts de la mode, la haute
couture et la cuisine. Outre ces lacunes, il faut
mentionner l'absence de disposition sur la
définition des uvres complexes. En effet, les
années changent. D'autres pratiques de création
naissent. La propension à utiliser la création des
autres comme matière inaugure l'ère des uvres
composites. L'image de l'auteur solitaire fait de
moins en moins recette. De plus en plus plusieurs
créateurs associent leurs talents pour la
réalisation d'uvres de collaboration. On crée
aussi dans le cadre d'un contrat de travail comme
l'illustrent les uvres collectives. La
nécessité de protéger ces uvres nouvelles
commande de les qualifier. D'une part, parce qu'il y
a risque de léser les intérêts moraux et
financiers de leurs créateurs d'autre part, parce
que les classes d'uvres ont un rôle
fondamental dans la détermination du titre d'auteur,
de la durée de protection.
Qualité d'auteur et le décret de 68
L'article 19 énonce que " le droit à la
paternité sur une uvre littéraire pou
artistique, est le droit qu'a l'auteur de la publier
sous son nom ". Cette définition renvoie à
l'individu auteur uniquement. Or il existe des
agences de publicité, des entreprises informatiques,
des Journaux, disons, des institutions génératrices
d'uvres qui travaillent dans le pays. Elles
sont souvent à l'initiative d'uvres, assurent
la coordination de leur création, contrôlent et
dirigent leur réalisation. Les uvres nées
dans ses conditions sont régulièrement éditées,
publiées, bref divulguées sous le nom de
l'entreprise. Ces personnes morales peuvent être
titulaires de droits d'auteur à titre originaire
comme l'exemplifient de nombreuses législations
modernes. Le décret ne prend pas en compte leur
situation. Ce déficit de protection montre qu'il y a
là un vide à combler. Qu'en est-il des droits
reconnus ?
Contenu du droit d'auteur et le
décret de 1968
La législation haïtienne s'apparente au droit
latin qui privilégie l'approche dualiste. Voilà
pourquoi ce texte consacre en son article 4 le droit
moral et les droits patrimoniaux. Droit moral Le
décret de 1968 reconnaît le droit de divulgation
(art.7, 19), le droit de paternité (art. 6,19,20),
le droit au respect ou à l'intégrité (art. 9, 46).
Ces composantes du droit moral entrent en jeu dès
l'instant où l'on aborde l'aspect du droit d'auteur
qui dérobe au droit réel. Droit de divulgation,
droit de paternité, droit à l'intégrité ; le
décret de 68 ne couvre pas tout le champ. Le droit
de repentir ou de retrait reste enseveli dans le
silence du texte. Cet oubli peut porter préjudice à
l'image, à la personnalité, à la carrière de
l'individu qui crée. En effet, un auteur, après
avoir autorisé, sous contrat l'exploitation d'une
uvre, par suite de l'évolution de ses
conceptions artistiques ou pour d'autres raisons
toutes aussi valables, nonobstant les uvres
d'art plastique, peut décider de sortir de la
circulation, une création qu'il a préalablement
consentie à livrer au public. Toutefois, ce retrait
étant préjudiciable à l'investissement du
cessionnaire des droits, il convient de garantir ses
intérêts économiques contre les caprices de
l'auteur. Comment dire le droit devant un tel
mutisme.
Droits patrimoniaux
Un livre peut être adapté à l'écran, traduit,
mis en scène, etc. d'autres uvres sont fixées
sur disque, cassette, C.D et diffusées à la radio
et à la télé, par satellite, sur le net, etc.
Cette réalité montre qu'une uvre est
susceptible d'exploitations diverses. L'ensemble
mobilise les droits patrimoniaux. L'article 10 du
décret reconnaît le droit de reproduction et celui
de représentation seulement. Or aujourd'hui, avec,
entre autres, l'avènement des nouvelles
technologies, d'autres droits patrimoniaux
apparaissent notamment le droit de communication au
public, le droit de location, le droit de
distribution, le droit de prêt ou location, le droit
de suite. De plus, si l'on excepte la parodie et le
pastiche (art. 31), aucune limitation n'est portée
à l'exclusivité de l'auteur titulaire. Rien n'est
dit sur la citation ni sur l'usage privé par
exemple. Or, à ce propos, la majorité des
législations latines autorisent l'usage privé ou
dans le cercle de famille. Elles permettent les
courtes citations justifiées par le caractère
critique, pédagogique, scientifique ou d'information
de l'uvre dans laquelle elles sont
incorporées. Elles admettent également les revues
de presses, la diffusion, même intégrale, par voie
de la presse des discours prononcés par les
assemblées politiques, administratives, judiciaires,
académiques et bien évidemment la parodie, le
pastiche, la caricature compte tenu des lois du
genre. Imaginez les obstacles, ne serait-ce que pour
la recherche. Si le régime romano germanique admet
des limites à l'exercice des droits patrimoniaux, il
prévoit un droit compensatoire qui n'est pas à la
charge des copistes pour leur usage privé et
personnel mais à celle des tiers responsables: c'est
le droit à rémunération appelé rémunération
pour copie privée. Ce droit n'est pas protégé par
le décret de 1968.
Durée de protection et le décret de
68
Pour faire suite à l'article 23, le décret
dispose en son article 24: "A la mort d'un
auteur, les mêmes prérogatives passent à ses
héritiers qui en bénéficient, comme titulaires de
ses droits patrimoniaux pendant vingt-cinq ans, à
compter de son décès, dans l'ordre et selon les
règles déterminées au Code Civil pour les
successions. Après quoi les ouvrages protégés
tombent dans le domaine public". Les uvres
visées viennent enrichir le bien commun. Chacun peut
les exploiter sans autorisation. Libre utilisation
pour les uvres tombées dans le domaine public
certes, mais la détermination de la durée de
protection doit tenir compte du type d'uvres et
de celui d'édition ainsi que d'autres facteurs
importants que le texte de 68 ignore. En effet, la
durée de protection d'une uvre anonyme ou
collective commence à courir non pas à la mort de
son auteur mais à partir de l'année civile suivant
sa publication. Si elle est publiée en plusieurs
volumes, le calcul de la durée de protection se fait
à partir du premier janvier de chaque tome publié.
Si l'ensemble est publié sur 20 ans, il faut
commencer à compter à partir de la publication du
dernier élément. De même qu'une édition posthume
ou une édition critique d'un ouvrage tombé dans le
domaine public fait varier la durée de protection.
En dehors de ces facteurs essentiels que le décret
de 1968 omet, il faut, avec la réintégration de la
Convention de Berne, revoir à la hausse la durée de
protection.
Exploitation des droits et le décret
de 68
"Les auteurs ont le droit exclusif, durant
leur vie, de vendre, faire vendre, distribuer,
représenter, traduire ou faire traduire dans un
autre idiome, leurs ouvrages généralement
quelconques, d'en céder la propriété en tout ou en
partie, en employant des procédés appropriés à la
reproduction de chaque catégories d'ouvrages, compte
tenu des énonciations de l'article de l'article 10
du présent décret" nous apprend l'article 23.
Ces opérations sont subordonnées au consentement
écrit de l'auteur ou de son représentant (art.27).
Cependant, en dehors du consentement écrit, rien
n'est dit sur les conditions dans lesquelles la
cession doit être exécutée. Aussi le décret de
1968 fait-il abstraction d'éléments essentiels tels
que la mention distincte, le domaine d'exploitation,
le mode de rémunération, etc. A ces lacunes
s'ajoutent l'absence de dispositions particulières
relatives aux contrats d'édition, de production
audiovisuelle, de cession de droits mécaniques pour
la musique, de commande pour la publicité, de
représentation pour la communication au public. Si
aux auteurs, le décret de 1968, malgré ses lacunes,
reconnaît un certain nombre de droits, tous les
artistes n'ont pas eu ce privilège.
Droits voisins et le décret de 68
A côté des auteurs, il existe d'autres
titulaires de droits à titre originaire. Il s'agit
des artistes interprètes exécutants, des
producteurs de phonogrammes, des producteurs de
vidéogrammes, des entreprises de communication
audiovisuelle. Comme les droits des auteurs, ces
droits voisins ont un aspect moral lié au respect du
nom et de la qualité de la prestation de l'artiste
interprète, un aspect financier qui bénéficient à
l'ensemble de leurs titulaires. Sur leur protection,
le décret de 1968 reste muet.
Sanctions des violations et le décret
de 68
La contrefaçon est un délit dit l'article 21 et,
" La peine contre le contrefacteur, ou contre
l'introducteur, sera amendée de cent gourdes au
moins et de quatre cent gourdes au plus; et contre le
débitant, une amende 16 gourdes au moins et de
quatre-vingt gourdes au plus ". Rien de
dissuasif. En ce qui concerne les représentations
illégales, l'article 351 du code pénal auquel le
décret fait référence ne se montre pas plus
sévère. Car " tout directeur, tout
entrepreneur de spectacle, toute association
d'artistes, qui aura fait représenter, sur son
théâtre, des ouvrages dramatiques, au mépris des
lois et règlements relatifs à la propriété des
auteurs, sera puni d'une amende de vingt-quatre
gourdes au moins, de quatre-vingt au plus, et de la
confiscation des recettes ". En dehors de ces
amendes dérisoires, le décret ne prévoit pas
d'emprisonnement, ne dit mot sur les cas de
récidive, ni n'impose des mesures plus graves à
l'encontre des personnes physiques ou morales
impliquées dans la commission de tels actes.
Gestion collective et le décret de 68
Le développement technologique favorise
l'utilisation massive d'uvres protégées.
Cependant les potentialités exponentielles
d'exploitation échappent à tout contrôle
individuel de l'auteur. Résultat, les auteurs ont
des droits qu'ils ne peuvent exercer et défendre
depuis 138 ans. Les autres législations latines ont
résolu ce problème de droit de l'homme en créant
un organisme chargé de la gestion collective des
droits. Institution capitale que le décret ne
prévoit pas.
Outre ces diverses lacunes, il y a l'urgence de
mettre notre législation en conformité avec la
Convention de Berne, l'Accord sur les Aspects de la
Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce
(ADPIC), les traités de l'OMPI sans oublier
l'article 6 de l'Accord haïtiano dominicain sur
l'éducation et la culture. La nouvelle loi sur le
droit d'auteur réalisée avec l'appui de l'OMPI
prend en compte toutes ces préoccupations
légitimes. Le souci est de favoriser l'accès légal
aux uvres protégées pour permettre à tous
les titulaires de bénéficier des droits que
l'exploitation des uvres rapporte, à la
communauté artistique de se professionnaliser, aux
entrepreneurs culturels d'évoluer dans un marché
culturel local sécurisé et enfin à l'Etat
d'élargir son assiette fiscale.